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¯\_(ツ)_/¯

The voices : That fucking cat !

La réalisatrice Marjane Satrapi et le scénariste Michael R. Perry (Paranormal activity 2) signent un film inclassable et jouissif, où un schizophrène attachant débriefe avec ses animaux entre deux décapitations. Humour noir et papillons roses.

Visuel the Voices

Après le succès du film d’animation "Persepolis" (récompensé par le prix du jury à Cannes en 2007 et le César du meilleur premier film en 2008) et les plus mitigés « Poulet aux prunes » et « La bande des jotas », Marjane Satrapi s’essaye donc à la comédie horrifique, dans un melting-pot perché de genres cinématographiques à priori dissociables. The voices, ou comment faire gicler du sang dans un univers pop acidulé, avec décapitation et animaux prolixes. 


Sweet Schizo

Soit notre gentil héros, Jerry, grand gars un peu benêt, ouvrier dans une usine de fabrication de baignoires. Lui, est à « l’empaquetage et l’expédition ». Il s’émerveille comme un ado rougissant devant Fiona, de « la compta », brune sensuelle, sous le regard de Lisa, blonde sympa, qui elle reluque le dadais Jerry.

Tout irait bien pour notre triangle amoureux, si ce n’est que Jerry, on le comprend au détour d’un rendez-vous chez sa psy, ne prend pas ses médicaments. Et on saisit mieux l’importance desdits médocs quand notre aimable jeune homme entame tranquillou at home une discussion avec Bosco, son chien pataud, et Mr moustache, son chat sadique, puis quand la jolie tête de Fiona finit dans son frigo, au sens propre. Là on se dit, ça part sérieusement en cacahuète. 

Benêt mais pas trop

Le d’ordinaire si fade Ryan Reynolds (cantonné jusqu’ici à des rôles oubliables dans des films oubliés, ou l’inverse) prête ses traits au schizophrène Jerry et en fait un gars attachant, aussi bien quand ses yeux s’humidifient de joie à l’idée de faire « la chenille » avec ses collègues que lorsqu’il poignarde allègrement la pulpeuse Fiona. Impossible de ne pas aimer ce brave garçon, qui, sans son traitement, transforme l’environnement fordiste dans lequel il travaille en décor de comédie sucrée, chariots élévateurs et uniformes arborant une étrange couleur rose PQ. De la même manière, son appartement, dans les locaux désaffectés d’un ancien bowling, ressemble à celui d’un maniaque du ménage. Mais… 
Car, maniaque, Jerry l’est, mais pas dans ce sens-là. Tueur à l’enfance traumatique (point agaçant déjà abordé dans une critique précédente : cessez, amis réalisateurs, de toujours vouloir expliquer les déviances ! Laissez-nous les savourer à l’état brut, et les comprendre comme nous le souhaitons !), le refus de son traitement s’explique par la douceur environnementale factice que cette absence médicamenteuse entraîne.

Si prise de traitement il y a, la réalité se fait moins colorée, et l’appartement redevient alors ce qu’il est réellement, un lieu anxiogène, plutôt cradingue, et teinté d’hémoglobine. De cette idée dissociative de réalités naissent des décors surprenants et des possibilités de mise en scène inventives, du lépidoptère pourpre voletant légèrement symbolisant l’hébétude amoureuse à une averse glaçante et fatale.

"Did you fuck the bitch ?"

Notre héros est-il un donc un Dexter mode simplet, ou simplement un homme qui, malgré la conscience de ses troubles, choisit de se leurrer pour vivre le plus agréablement possible dans son univers Bisounours, le temps que cela tiendra ?

À cette question, Marjane Satrapi nous laisse le soin de répondre. Et pour compliquer la donne, elle rajoute au tableau déjà fort déjanté les animaux du schizo, Bosco la voix de la sagesse, et Mister whiskers, le vilain félin, qui pousse son maître au vice, au meurtre, à la jouissance, avec une verve langagière (Did you fuck the bitch ?) qui ferait pâlir la vulgarité du rappeur Gradur. Car, il faut bien l’avouer, le spectateur attendri préfère le Jerry « habité ».

En fin de compte, le petit Lucifer enfoui en chacun de nous se retrouve rapidement fasciné par la méchanceté assumée et viscérale du rouquin Mister Whiskers, qui, influençant Jerry dans ses délires schizoïdes et autres fantasmes de meurtres, au fond, lui permet de se vivre tel qu’il est réellement. Et nous, bien à l’aise dans nos fauteuils, rêvons alors tous que Jerry découpe à nouveau, pour ne pas laisser seule in the fridge Fiona l’étêtée. 

Un film en deux temps

L’entropie psychique du naïf Jerry est donc interprétée à merveille par Ryan Reynolds, qui dévoile (enfin) ici sa palette de comédien, tantôt joli garçon fébrile, tantôt tueur tranchant, dans tous les sens du terme. D’autant plus remarquable qu’il prête également sa voix à ses deux compères, en affublant le chat démoniaque d’un accent écossais démentiel. Marjane Satrapi, sur France Culture le jour de la sortie du film, expliquait que pour elle, « ce chat est à mourir de rire, il est honnête, il me fait chavirer le cœur, alors que le chien, ce qu’il dit on l’a entendu mille fois, il sort des poncifs ».

Le film lui, n’en use pas, et chaque bribe de film peut être considérée une saynète inventive, même si la seconde moitié n’a pas la saveur acidulée et le comique de situation du début. Cependant, pour le culot scénaristique de Perry et la sensibilité humaniste de Satrapi, qui fait de ce personnage d’homme luttant contre ses démons un gars sincère et impuissant face aux affres du psychisme, le film vaut le détour. 


Delicious evil cat

Deranged Jerry et Mister whiskers vous invite donc à écouter les sanglantes voices d’un film qui ne se refuse rien, d’une Gemma Arterton dansant la chenille en robe fuchsia à froufrous à une bloody scène nocturne en forêt, arme blanche en main. The voices n’a pas la prétention d’être un grand film, mais redonne à la comédie noire des lettres de noblesse quelque peu effacées, grâce surtout à l’éloquence trash d’un matou scabreux. 
 Je ne saurais que trop vous conseiller d’aller le voir, non sans vous prévenir de prendre votre traitement avant, et que vous regarderez bizarrement votre chat en rentrant chez vous.  

"The voices" de Marjane SATRAPI, en VO au Gaumont et à l'UGC, 1h33.




the voices / cinéma

Article réalisé par Elsa Gambin

Publication : Vendredi 13 Mars 2015

Illustration : Visuel the Voices

Crédit photo : The Voices






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