Rétrospective - 10 ans du chef d'oeuvre de Burial : Untrue
Et oui, dix ans déjà que ce mystérieux londonien a pondu ce bijou sorti de nulle part, Burial dont l'identité est toujours gardée secrète a depuis sorti de nombreux morceaux, mais cet album reste et restera son oeuvre majeure.
Le 5 Novembre 2007, la musique électronique voyait naître un de ses plus beaux bijoux, un album sorti tout droit de la banlieue Sud de Londres.
Le Royaume-Uni fût le pays précurseur en matière de raves, les années 80 virent naître deux Summer of Love consécutifs en 87’ et 88’, les kids anglais se délectaient alors des productions acid-house et techno venues de Detroit ou de Chicago. Ce fût même une terre fertile de la drum’n’bass et de ses dérivés jungle ou bien encore du grime, son si particulier mélangeant la dub step et le hip hop. Mais au milieu des années 2000, le temps des raves dans les warehouses semblait disparu depuis un moment. L’essentiel des festivités se déroulant dans des clubs, l’argent avait pris le relais depuis plusieurs années, devenant accessible à une audience plus large.
En 2007, c’était la minimale qui prédominait le secteur, un son épuré, débarrassé des complexités que la techno pouvait offrir, le grand public semble accrocher, certains puristes beaucoup moins.
C’est lors de cette période globalement décadente en terme d’innovation en musique électronique que l’anglais Burial a choisi de pondre un OVNI, devenu depuis classique.
Focus.
Quand on pense musique électronique, on pense souvent dancefloor, ce lieu de réunification où l’on s’oublie collectivement, tentant furtivement de flirter ou de danser en effaçant le monde extérieur. A l’inverse, Untrue incarne l’introspection. Chaque morceau est une longue lamentation réunissant des samples extraordinairement remaniés. Les vocaux semblent surgir naturellement des nappes et basses pleines de reverb, elles viennent nous saisir en plein cœur, s’articulant sur des beats parfois décalés, parfois denses et profonds, comme porteurs d’un lourd fardeau. La construction de ses beats est tout aussi remarquable, ils sont le fruit de samples chinés sur différents supports, comme par exemple Metal Gear Solid 2. On y trouve des bruits de balle contre le sol ou encore une partie de l’intro du jeu dès le premier morceau nommé Archangel.
D’autres samples tout aussi surprenants viennent en grande partie du RnB, d’Usher à Beyoncé en passant par Christina Aguilera, ces samples sont tellement retravaillés que leurs sources sont quasi indiscernables. Les ambiances créées sont radicalement différentes des échantillons originels, il transforme des paroles banales venant de compositions mainstream en moments intenses et poétiques où la douleur se conjugue à une certaine solitude. Cette sensation est due en grande partie à l’impression d’éloignement qui émane des vocaux, les effets de distance spectrale sur le logiciel rudimentaire Sound Forge lui ont permis d’élaborer cette perception. Les voix incorporées résonnent comme des appels à l’aide abyssaux comme s’ils provenaient d’un espace parallèle, nous voilà pris d’émotions inexprimables et subjuguantes, emmurés dans une introspection bouleversante et inattendue.
Il y a également cette notion d’altitude dans la musique de Burial. Cette sensation d’être en contemplation omnisciente au-dessus de la ville, à la fois si loin du monde réel mais si proche de la compréhension de sa complexité. Ma musique parle aussi bien d’un ange regardant au-dessus de vous, que de ces moments où on ne sait pas où aller ou quoi faire, alors tout ce qu’on fait c’est de s’installer tard la nuit dans un McDonalds, sans répondre aux appels des gens expliquait-il en 2007.
Un délaissement que Burial va utiliser pour tester l’intensité de ses tracks, il avait en effet pour habitude de conduire de nuit dans le Sud de Londres en écoutant ses productions, ainsi il pouvait percevoir plus aisément si la distance qu’il recherchait sur ses sons était efficace.
Cette solitude qu’il poursuit et examine atteint son paroxysme dans les bus de nuit.
Toutes les grandes villes du monde ont des bus de nuit, mais il y a une résonance particulière à Londres lorsque qu’il s’agit de ce mode de transport. Jusqu’à peu, le métro ne fonctionnait pas 24h/24, les fameux bus londoniens étaient alors la seule option de retour pour les clubbers n’ayant pas les moyens de se payer un taxi. Surtout que la jeunesse sans le sou vit principalement loin du centre. Les bus ramenaient les ravers dans leurs cocons, prêts à passer une journée dans l’isolement, aux antipodes des soirées déchainées de la capitale anglaise. Mais ces bus fournissaient un lot de consolation, postés à l’intérieur, les kids pouvaient y observer le scintillement de la ville qui se réveille, ces bus de nuit capturaient l’intensité de la satisfaction qui émanait de ces londoniens noctambules.
Interviewé par le critique anglais Mark Fisher, Burial parlait de révélations étranges qu’il eût lors de ses déambulations nocturnes dans les zones désertées de Londres. Parfois tu as ce sentiment, comme si un fantôme venait toucher ton cœur, comme si quelqu’un marchait avec toi confiait-il.
Des morceaux comme Archangel ou Shell Of Light suggèrent des réflexions superstitieuses, ou du moins une ouverture d’esprit permettant d’admettre l’idée qu’il puisse exister des dimensions surnaturelles, comme si d’autres contrées s’introduisaient dans notre réalité via des visions ou des sensations déconcertantes. En écoutant Untrue Fisher écrivit : j’ai l’impression de marcher dans des espaces abandonnés, des endroits dépossédés des raves devenus déserts. C’est comme si un spectre des raves hantait ces lieux.
Lors des interviews suivant la sortie d’Untrue, Burial faisait souvent référence à l’unité, au pouvoir qu’a la musique pour dissoudre les barrières. Parlant du temps où sortait les classiques anthems raves, il confia à FACT Magazine : Ça paraît stupide, mais c’est comme si les kids de l’époque avaient essayé d’unifier tout le Royaume-Uni et qu'ils échouèrent. Du coup quand je réécoute ces anthems, j’ai comme de la tristesse qui surgit. Né trop tard pour expérimenter les raves des années 90, Burial se rattrapa avec son grand frère qui passait des vinyles et des mixtapes de cet âge d’or, cela combiné aux anecdotes et exploits qu’il lui contait. Comme ceux qui grandirent dans les années 70, avec ce sentiment d’avoir manqué quelque chose, n’ayant pu se délecter de l’aventure des sixties.
Burial fit ainsi une collection de ces reliques, en glorifiant ces légendes d’un passé encore proche.
Derrière ce fantôme des raves qui obsédait Burial, un autre spectre se cachait, celui du socialisme. Ainsi naquit le concept d’hantologie, originellement inventé par le philosophe français Jacques Derrida en 1993. L’hantologie évoque le fait que même après la chute du communisme et donc de l’adoubement du capitalisme et d’une mondialisation libérale, le monde contemporain restait hanté par les mouvements idéalistes du passé : la justice sociale, l’égalité, un monde libéré de l’exploitation et de la privation généralisée. On parle également d'hantologie résiduelle lorsque les compositions mélangent la matière première du passé avec des sons enregistrés dans le présent. La trace du passé se diffuse voire disparaît presque dans les nouvelles compositions. C’est exactement ce que l’on retrouve dans chaque titre d’Untrue, un mélange de sons du passé entremêlés dans un présent incertain, ces éléments conjugués aux reverbs profondes et aux beats précis nous donnent l’impression d’entrer dans un monde où le temps s’est dilaté.
Ce genre d’idéologie de la fin du millénaire constitua les prémices de la musique de Burial, cela participa à éveiller une vision lugubre du monde urbain qui l’entoure. Tony Blair du parti travailliste réutilisa une phrase éponyme d’un anthem de 1993 Things Can Only Get Better, il en fit le thème de sa campagne réussie de 1997, clôturant ainsi 18 ans de pouvoir du parti conservateur. Mais cela s’avéra être un abandon de ses engagements de longue date, sa vision de l’économie et son éloignement des unions de l’époque lui permirent d’exercer pleinement ses désirs libéraux.
Jusqu’en 2010, le parti travailliste continua à diriger le Royaume-Uni, cette même période où Burial grandit et produisit deux albums. Ces treize années furent essentiellement une extension de la vision du post-socialisme de Thatcher. Les travailleurs furent soumis de plus en plus à la flexibilité du marché, n’ayant aucune garantie sur le nombre d’heures qu’ils auraient à faire dans la semaine et devant se débrouiller avec des changements de dernière minute, laissant les salariés dans un état permanent d’anxiété, incertains de leur futur.
Le bien-être n’étant pas à l’ordre du jour, un système plus punitif se mit en place, conçu afin de pousser les gens vers ce marché néo-libéral. Les entretiens d’embauche ne visaient plus qu’à introduire des valeurs comme la positivité, martelant sans relâche aux chômeurs l’idée que la fracture sociale et économique était le résultat d’une déficience individuelle chez certains plutôt que remettre en question le système en place. D’autre part, après l’introduction des frais de scolarité pour les étudiants, beaucoup de diplômés se retrouvèrent écroués sous les dettes, devant se confronter à un marché où les stages et les emplois précaires payés à la tâche sont souvent les seules garanties d’avenir.
Voilà la réalité au Royaume-Uni, un long soupir qui n’en finit pas, une dépravation constante du lien social entre les Hommes dû à la dérégulation sans fin de notre système économique et politique. C’est dans ce genre de paradigme que se créent des complaintes comme Untrue, cet album n’est finalement qu’une version musicale de cette lamentation qu’ont les solitaires qui trainent leurs pieds dans la vie moderne.
Maintenant il est temps de se replonger dans cet album générationnel, en vous souhaitant une agréable écoute.
Article traduit en partie de Pitchfork
Corentin Moreau
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Article réalisé par Service Civique Programmation
Publication : Samedi 07 Avril 2018
Illustration : Pochette d'Untrue - 5 Novembre 2007