[Reportage] La maison de la presse, centre névralgique des quartiers
Les maisons de la presse figurent parmi les rares commerces non alimentaires encore ouverts. Elles sont plus que jamais des lieux de rencontres (à distance) et de courts échanges, qui permettent de garder un lien social devenu rare. Reportage.
Il connait tout le monde et a un mot pour chacun. Noureddine, 55 ans, pull bleu et sourire bienveillant, fait figure de capitaine de navire en pleine tempête. Aux commandes derrière une double protection de film plastique, radio à fond, il continue à vendre cigarettes, journaux, recharges téléphoniques... Et il est rare qu'il n'y ait personne dans ce magasin, à quelques pas du tramway Vincent Gâche.
"L'essentiel, c'est qu'on reste ouvert"
Pourtant, depuis le début de l'épidémie, tous les clients qui n'étaient pas du secteur ont disparu. Noureddine estime avoir perdu environ 25% de son chiffre d'affaire, mais mesure avant tout sa chance : "L'essentiel, c'est qu'on reste ouvert. Nous, nous pouvons payer notre loyer, nos factures". Il sait que rares sont les commerçants à pouvoir en dire autant.
Depuis le début des confinement, les clients sont certes moins nombreux, mais achètent en plus grande quantité. "Les gens lisent plus, notamment plus la presse papier, et ça au moins, c'est une bonne chose", se réjouit Noureddine.
Ici, la plupart des personnes qui passent la porte sont accueillis d'un "salut, comment vas-tu ?" du patron.
Depuis le début de l'épidémie, il n'y a qu'un sens de circulation, et chacun garde ses distances grâce à un marquage au sol. "On prend le virage dans le bon sens, merci !" tempête Noureddine, qui fait autant la police que le spectacle. Chacun prend des nouvelles, le gérant plaisante sur des cheveux trop longs, change la pile d'une montre, aide à choisir une carte téléphonique pour l'étranger.
Et les clients repartent tous avec le sourire, sauf...ceux qui voulaient du gel, ou des gants : "J'ai demandé à mon fournisseur, mais il n'en a pas", explique la Noureddine.
"Quand je rentre chez moi, c'est un peu dur"
Lui et son apprenti ne portent pas de masque, même si "des clientes [lui] en ont offert deux lavables, très beaux". Guéris du gel hydroalcoolique qui leur a bousillé les mains, ils sont repassés au bon vieux savon et mettent des gants pour ranger les étales. "
Quand je rentre chez moi, c'est un peu dur, car j'essaie de garder quand même mes distances avec mes proches", confie le commerçant, confiné avec sa femme - qui gère en temps normal le magasin avec lui - ainsi que tous ses enfants, revenus à la maison.
"Je kiffe ce quartier"
"On n'est pas sortis d'affaire", lâche Noureddine, avouant qu'il ne sait pas vraiment ce qu'il va se passer après le 11 mai, s'il sera, par exemple, intéressant d'ouvrir à nouveau sur ses horaires habituels.
"Je sors par ici ?" demande tout à coup un client âgé déboussolé, face à la seule porte du magasin. "Ah oui, ça c'est sûr, vous sortez par ici", renchérit Noureddine. La porte coulissante se renferme. "Je kiffe ce quartier", sourit le commerçant. Et réciproquement.
Reportage à écouter ci-dessus.
maison de la presse / bureau de tabac / vincent gâche / noureddine
Article réalisé par Constance Bénard
Publication : Jeudi 23 Avril 2020
Illustration : Système D : Ici, un film plastique tendu grâce à un balais protège la caisse, le patron et son apprenti
Crédit photo : Constance Bénard