Rencontre avec la sous-secrétaire des Nations Unies, Leila Zerrougui
Leila Zerrougui a la charge de protéger la plus vulnérable des populations en tant de guerre : les enfants. Retour sur son parcours, son travail à l'ONU et la situation des enfants soldats aujourd'hui.
Samedi 16 novembre se tenait au château de Nantes une conférence-débat intitulé les « Enfants en Guerre ». Un sujet toujours d’actualité : l’ONU chiffre entre 200 000 et 300 000 le nombre d’enfants soldats dans le monde.
« Je suis né pendant la guerre »
Petite de taille mais qui arbore un grand et large sourire, c’est une femme accueillante qui s’assoit en face de moi. Tout juste arrivée de New-York, elle n’a pourtant pas toujours vécu dans la paix et la stabilité. Elle est née en Algérie, « pendant la guerre », comme elle le dit souvent, des rides au coin des yeux.
Il ne faut pas croire que le phénomène des enfants soldats est seulement africain : il existe une multitude de cas pour une multitude de conflits. En France, nous aussi nous avons eu nos enfants soldats. Qui se rappelle de l’enfant soldat du tableau de Delacroix, « la liberté guidant le peuple », tenant deux pistolets et qui a inspiré le Gavroche de Victor Hugo ?
Pour la cour pénale internationale, enrôler un enfant de moins de 15 ans constitue désormais un crime de guerre. Leila Zerrougui a lancé récemment une campagne pour ne plus avoir aucun enfant soldat d’ici à 2016.
Pour protéger les enfants, l’ONU reconnait six violations : le recrutement et l’utilisation d’enfants, les mutilations et exécutions, les violences sexuelles, les enlèvements, les attaques d’hôpitaux ou d’écoles, le déni d’accès aux humanitaires et la détention.
« L’Homme est capable du meilleur et du pire »
Aujourd’hui, huit états sont encore sur la liste de l’ONU pour le recrutement : six ont déjà signés pour y mettre un terme. Leila Zerrougui se rendra d’ailleurs au Yémen en décembre pour signer avec le pays leur engagement dans cette voie.
Mais à quoi cette liste sert-elle ? Imaginez : en pleine guerre civile, des rebelles terrorisent la population, pillent, violent, tuent. Puis la paix est signée, et ces belligérants, anciennement rebelles, intègrent la nouvelle armée gouvernementale, qui a pour tâche de protéger la population. Invraisemblable ? Aujourd’hui grâce à ces listes, l’ONU peut empêcher aux ex-guerriers d’intégrer l’armée gouvernementale, comme cela pourrait être le cas en République démocratique du Congo avec les rebelles du M23. Elle permet aussi de faire pression sur les États.
« On ne peut envoyer un enfant de moins de 18 ans sur les champs de bataille ! »
Cependant, de temps en temps, l’ONU se heurte aux mentalités qui subsistent dans certains pays où un enfant de 15 ans est déjà considéré comme un homme, qui a le devoir de se battre, de défendre sa communauté.
Lors de la dictature de Mobutu, au Zaïre, le despote faisait défiler avec fierté ses « kadago », ses enfants-soldats. Aujourd’hui qui oserait le faire ? L’ONU, l’UNICEF et les États membres ont, entre autre, participé à ce changement de mentalité, même si des efforts restent encore à faire.
« Quand il y a des accords de paix, on oublie les enfants »
Néanmoins, même après la fin du conflit les enfants restent très vulnérables. Déracinés, traumatisés, entraînés à détruire, il faut maintenant les aider à réintégrer leurs communautés.
Les enfants peuvent avoir perdu leur famille, même si elle n’a pas été tuée : les chefs de guerres savent détruire les liens familiaux. Comble de la roublardise, ils les envoient faire des exactions dans leur communauté, au sein même de leur famille parfois.
« On ne peut pas tuer une population civile, c’est une violation du droit humanitaire »
L’ONU retire chaque année plusieurs milliers d’enfants des griffes des chefs de guerre : l’année dernière, ils étaient 12 000. Peut-être trop peu face aux 250-300 000 enfants soldats dans le monde, mais la tâche est ardue, sachant que certains sont recrutés une nouvelle fois...
Le problème c’est qu’il faut convaincre les États, les gouvernements et les belligérants. Mais dans de nombreuses situations l’organisation est bloquée. La Centrafrique, tenue par des groupes armés, déchirée par les guerres intestines, n’a plus d’institutions. Tout comme l’ONU la population prise en otage en appelle à la communauté internationale pour agir, en vain.
Mais également en Syrie où 9, 3 millions de personnes sont affectées par cette crise. De décembre 2012 à Janvier 2013, Leila Zerrougui s’est rendue sur place : dans les camps de réfugiés on ne trouve que des femmes et des enfants. Ils sont les premiers affectés.
« C’était effarant »
Les explications d’une attaque envers des civils sont souvent les mêmes : nécessité de combattre le terrorism, ou de sanctionner des infractions à la loi.... Alors, aujourd’hui il faut que les États prennent leurs responsabilités, et accomplir le plus primordial des devoirs qu’un État doit accomplir : protéger la population.
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Article réalisé par Valentin Guinel
Publication : Lundi 25 Novembre 2013
Illustration : Leila Zerrougui (a droite) et Franck Barrau (a gauche)