Soit Malony, enfant placé de foyers en famille d'accueil pour cause de carences parentales, les plus "habituelles", père absent, mère défaillante. On le retrouve adolescent, délinquant installé, pour divers vols de voitures avec violence, son leitmotiv. "Vols, oui. Violence, ok. Mais vol avec violence, non", dit il à sa juge, demi-sourire sur son visage encore teinté d'enfance. S'ensuit un parcours institutionnel que n'aurait pas boudé Goffman, CER (Centre Éducatif Renforcé), la case prison, puis le CEF (Centre Éducatif Fermé). Sur son chemin de vie, jalonné de réactions épidermiques d'une violence qui lui échappe, de rechutes comportementales, d'échecs scolaires, Malony est épaulé par des adultes tantôt dépités, tantôt soutenants, mais toujours d'une admirable patience. Une juge et un éducateur, surtout, piliers inamovibles, béquilles compatissantes du jeune désoeuvré, pendant plus de 10 années. Une juge trop maternante, un éducateur fragile, une gamine amoureuse, voilà ce qui va "construire" le jeune Malony. C'est trop peu, trop flou, trop simple.
Le microcosme de l'éducation spécialisée, bien souvent méconnu du grand public, et boudé du 7ème art, se prête pourtant étonnamment bien, de par ses humanités à fleur de peau, aux élans compassionnels et bruts d'une caméra vibrante. Si l'aspect documentaire se fait toujours légèrement ressentir lors des films sur le sujet, la fiction semble prendre le dessus ces dernières années, avec l'intéressant "States of Grace", le folklore coloré et âpre de "Géronimo" et l'explosif œdipien "Mommy".
Seulement voilà, le sujet même ne doit souffrir d'aucune demi-mesure semble t'il, pour être cinématographiquement efficace. Or, le parcours balisé que nous propose Bercot oscille constamment entre les deux. Par ses redites comportementales d'un lieu à l'autre, le film penche vers l'observation intra-utérine de ces établissements et souligne lourdement parfois le cercle sans fin de violence qu'oppose l'adolescent hostile, sans réellement poser la question d'autres alternatives. Par ses personnages trop caricaturaux (excepté l'adolescent, parfait), elle glisse vers la fiction, sans réellement atteindre l'émotivité espérée.
La justesse de jeu du jeune Rod Paradot (absolument génial, et un regard extraordinaire, qui contient à lui seul toute la désespérance de sa situation), si elle est incontestable, autant que les dialogues de cette jeunesse provisoirement (ou non) perdue, maintiennent malgré tout à une certaine distance émotionnelle le spectateur esseulé. Itérativement, dans chaque nouveau lieu, Malony se bute, fugue, fait voler objets et insultes, avant de s'apaiser, puis recommencer. Si la répétition des actes, tel un schéma inébranlable, est réaliste, la volonté de la réalisatrice de ne montrer le jeune garçon que dans ces univers clos, comme une succession d'endroits quasi semblables induit chez le spectateur une méconnaissance des raisons environnementales ,sociétales et familiales (pourtant nombreuses) qui font du jeune homme de qu'il est, un adolescent en souffrance.
Une société binaire
L'explication de cette douleur, Emmanuelle Bercot la fait passer uniquement par le personnage de la mère, surjouée par la pourtant épatante Sara Forestier ("Le nom des gens", "Suzanne" ...), mère adulescente à côté des ses pompes, nourrie au shit, à l'égocentrisme et au dentiste probablement médiocre professionnel (à priori, l'esthétisme des classes populaires passe obligatoirement par des vêtements type Deschiens, une vilaine orthodontie, un goût prononcé pour le vernis et une attention parentale digne d'une huître). La caricature n'est certes pas dépourvue d'intérêt mais la notion d'amour maternel malgré tout (ou surtout) est maladroitement, et trop peu, effleurée. Soulagement (tardif) sur ce gros plan de la main maternelle caressant les cheveux du fils rebelle dans le bureau de la directrice du CEF.
Par une linéarité sans surprise, Emmanuelle Bercot structure son film de manière quelque peu mécanique et nous maintient étrangement loin de toute empathie, pour qui que ce soit. Les personnages adolescents gravitationnels ? La réalisatrice ne semble pas s'en soucier, ils sont là parce qu'il le faut, humanoïdes braillards et pénibles cloîtrés entre quatre murs. Ils ne jouent aucun rôle dans la vie et l'évolution de Malony, qui vit pourtant avec eux des mois entiers. Quid de la rencontre amicale lors d'un parcours institutionnel ? Leurs personnalités "de surface" ne les rendra ni sympathiques ni même existants aux yeux d'un public déjà méfiant vis-à-vis de la délinquance. Et préciser par deux fois pendant le film le coût journalier desdits ados à la société ne viendra pas augmenter le capital sympathie de cette jeunesse rageuse.
Là où la fictionnalité exacerbée de Mommy, justement, amenait d'outranciers sentiments, les choix visuels de Dolan, l'écriture et la psychologie très travaillées des protagonistes en faisait un film inflammable, à chaque seconde. Un torrent d'essence cinématographique sous le joug de l'allumette Steve. Malony, lui, demeure plus prévisible. L'on sent d'emblée que la ligne droite qu'il s'entête a prendre pour foncer dans le mur sera contrée par de soucieux adultes. Que sa "prise de conscience" existera bel et bien. L'enjeu reste donc de savoir quand, et comment.
Et il va s'avérer plus que discutable. Non que la réalisatrice prône la paternité adolescente pour se sortir d'un cursus d'autodestruction patenté (du moins, on peut espérer que ce n'est pas le cas), mais la décision subite de l'adolescent tient plus d'une pirouette finale scénaristique que d'une construction réfléchie. Si Malony n'est pas amoureux de l'androgyne Tess, qui soit dit en passant, fille d'institutrice de CER, aurait réfléchi à deux fois avant de s'acoquiner inconditionnellement d'un délinquant expéditif, le retournement situationnel laisse pantois. Si la reproduction sociale d'un schéma familial est souvent de mise, il est vrai, l'édulcoration, voire l'absence de questions qu'engendre cette grossesse adolescente suscite agacement chez le spectateur.
Mais sans doute que la fille d'une travailleuse sociale possède ce gène unique à ce corps de métier, l'illusion de pouvoir "sauver" ceux qui se sont égarés. Tout comme une certaine lassitude perle à l'évocation de l'adolescence difficile de l'éducateur (impeccable Benoit Magimel) qui suit Malony. L' exaspération est de mise à cette énième lapalissade, être éducateur signifie avoir soi-même vécu une enfance chaotique (on nous a déjà fait le coup dans "States of Grace"). Et bien, soulignons une bonne fois pour toutes que non, n'en déplaise à ceux qui croient dur comme fer à la "vocation". L'éducateur n'est ni dans une démarche réparatrice ni sacrificielle ni redevable. Il est, d'abord, et il a un métier, ensuite.
Un film méritoire mais informatif
Le choix de la réalisatrice de se concentrer uniquement sur Malony fait de "La tête haute" un film étriqué, au même titre que les institutions qu'il côtoie, peu fertiles en imagination et en proposition pour aider le jeune à se sortir de l'impasse. La sensation d'étouffement permanente est bizarrement écartée via une chute posée là comme une évidence. Reste un film qui, d'un point de vue pédagogique, peut amener au grand public de nouvelles connaissances en ayant le mérite de dévoiler les méandres de la protection de l'enfance, la patience de ces "travailleurs de l'ombre" et leur réalité de terrain. Et la jolie découverte d'un jeune premier du cinéma, Rod Paradot, remarquable. L'éducation spécialisée, terrain miné, peu représentée cinématographiquement, se laisse donc entrevoir dans ce film sincère, mais qui, malheureusement, ne fait qu'esquisser les contours de réalités profondément plus complexes. Par son parti pris sans réelles aspérités, ses personnages manichéens, Emmanuelle Bercot ne parvient pas à susciter ce qui régit une partie du travail éducatif , du travail avec l'humain, à savoir l'émotion.
zuliani - 22/05/2015 10h40