[Podcast] La réforme du Baccalauréat est-elle porteuse d'inégalités ?
Le 25 février dans l'émission Curiocité nous avons tenté de décrypter la réforme du Bac qui soulève un vent de contestation chez les enseignant.e.s et lycéen.ne.s. Retour sur la réforme et son application.
Le 25 février dernier, dans l’émission Curiocité spéciale vie étudiante, nous avons rassemblé différents acteurs de l’éducation autour d’ une table ronde afin de décrypter la réforme du bac. En présence de lycéen.ne.s de Première à Guist’Hau, de Michel Decha professeur de français et délégué syndical au SNES-FSU, et Vincent Troger maître de conférence honoraire en Science de l’ éducation.
La réforme du Baccalauréat en trois points
Annoncée par Jean-Michel Blanquer en février 2018, puis appliquée à partir de la rentrée 2019-2020, cette réforme voit la refonte complète du baccalauréat. Terminé les traditionnelles séries générales ES, L, et S . A présent, les élèves en fin de seconde doivent choisir trois enseignements de spécialités parmi ceux proposés au sein des lycées. Ces enseignements s’ajoutent au tronc commun.
D’autre part, la grande nouveauté de cette réforme, c’est qu’il fait place à un bac local. Les sujets du bac qui étaient communs à tous les lycéen·ne·s de France métropolitaine sont à présent décidés par les établissements qui doivent choisir dans une banque nationale de sujet transmis par le ministère.
Le troisième point de cette réforme, est le contrôle continu. Avec l’ancien bac, les élèves devaient plancher sur des examens terminaux en Première avec la traditionnelle épreuve de français, puis en Terminale. Aujourd’hui, la calendrier des épreuves débutent en janvier à partir de l’année de Première et s’étend jusqu’à la fin de la Terminale. Ce sont les fameuses épreuves des E3C. Ces examens portent sur des matières de tronc commun, (Histoire-géographie, Langues vivantes, Philosophie, Sciences, Français). Ces épreuves constituent 30 % de la note finale du baccalauréat.
Pourquoi tant de contestations ?
Cette réforme considérée comme ambitieuse, car elle implique la refonte totale de l’ancien Baccalauréat, ne fait pas l’unanimité auprès des professeurs et des lycéens.
En cause ? Une réforme qui est mal préparée. Selon Vincent Troger la refonte du Baccalauréat avait déjà été étudié par Pierre Bourdieu qui avait remis un rapport quelque peu similaire sur l'avenir des lycées en 1989.
Néanmoins, ce dernier préconisait une application sur trois ans. « C’est une réforme qui est appliquée sur le temps politique et qui n’est pas le temps de l’éducation. Pierre Bourdieu dans son projet de réforme proposait trois années de préparation. Une première année de concertation (…), une année d’expérimentation et encore une année pour que les enseignants se forment. Cette réforme c’est un vrai bouleversement si elle se met en place, et c’est absolument impossible de faire ça en l’espace d’une année immédiate. Il y a très peu de chance que ça fonctionne... ».
La réforme annoncée en 2018 puis appliquée en 2019, prend de court les professeurs et des lycéen·ne·s qui doivent se conformer tant bien que mal aux nouvelles règles du baccalauréat. Des programmes lourds et intensifs, de nouveaux cours à préparer pour les professeurs, et des lycéen·ne·s perdu·e·s dans leur orientation.
Certain·e·s lycéen·ne·s s’inquiètent d’être pénalisé·e·s pour leur entrée dans l’enseignement supérieur. Inquiétude qui grandit avec l’application de la loi O.R.E* et de la plateforme Parcoursup qui prend en compte les résultats de ces épreuves pour l’accès à l’enseignement supérieur.
« Aujourd’hui on cherche à reproduire des menus S, ES et L. (..) car on sait pas où on va être pris, on ne connaît pas les attentes de l’enseignement supérieur. » Eva en Première au lycée Guist’hau.
D’autre part, on parle d’un renforcement des inégalités entre les différents établissements de périphérie ou de campagne qui auraient une liste de spécialités réduites par rapport aux lycées de centre-ville.
Les lycéen.ne.s se sentent démuni.e.s face à ces épreuves des E3C : sujets non étudiés, dans de mauvaises conditions. Sans oublier les mobilisations autour de cette réforme et les divers blocages qui se sont accompagnés de joyeuses escortes policières. Une répression des forces de l’ordre critiquée dans plusieurs lycées à Nantes, comme Jean Perrin, les Bourdonnières, Livet et Guist’hau.
La réforme du baccalauréat est ainsi bien loin de faire l'unanimité. A cela s’ajoutent à d’autres contestations comme en témoigne Mathys élève de seconde au lycée les Bourdonnières « Nos revendications ne s’arrêtent pas aux E3C, nous nous battons pour la réforme des retraites, Parcoursup, la précarité étudiante, les violences policières et le réchauffement climatique. ».
Orientation ou sélection ?
La réforme du Baccalauréat, s’inscrit dans un projet plus vaste de la politique du gouvernement, le plan étudiant, censé favoriser l’insertion des bacheliers technologiques et professionnels dans les études supérieurs, améliorer le dispositif d’orientation des lycéens et réduire le taux d’échec à l’entrée de l’Université. Une politique contestée au sein des universités, professeurs et syndicats étudiants et enseignants, qui révèle surtout le manque de budget pour le supérieur. Le nombre d’étudiant·e·s ne cesse d’augmenter chaque année sans que l'on débloque l’accompagnement financier nécessaire pour les accueillir.
Un récent bilan de la Cour des comptes critique le mauvais résultat de l’orientation des lycéens et le manque de transparence et d’équité dans la procédure d’affectation de Parcoursup.
En effet, les paramètres utilisés par la commission d’examens de vœux (CEV) pour classer les candidats privilégie certaines filières par rapport à d’autres. Les lycées d’origine des candidats font également partie du choix des CEV, qui se base sur le pourcentage de réussite au bac. La cour des comptes propose notamment l’anonymisation des établissements et la publication des algorithmes locaux, ainsi que la prise en compte de l’écart de notation existant dans un lycée entre la moyenne au contrôle continue en terminale et les résultats obtenus au bac (20 % des filières non-sélectives les plus en tension aurait utilisé ce paramètre*).
En lien podcast de l'émission sur la réforme du Baccalauréat.
En lien la conférence de Sophie Orange sociologue à la Faculté de Nantes pour comprendre la loi O.R.E et décrypter la « crise de l’Université » . : https://www.youtube.com/watch?v=evENPXLoJx4
* Loi O.R.E : Loi pour l’ Orientation et Réussite des Étudiants entrée en application en 2018 sous la ministre Frédérique Vidal. Les futurs bacheliers doivent faire leur voeux sur la plateforme ParcourSup. Les voeux sont ensuite soumis au conseil de classe puis transmises aux universités. Chaque établissements d’enseignements supérieurs peuvent exiger des pré-requis autre que le bac et imposer des modules complémentaire ou des formations différentes aux candidats. Les filières « en tension » peuvent choisir les étudiants selon leur profil… le sens même du mot « sélection ».
* chiffre du journal le Monde : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/02/26/parcoursup-lacour- des-comptes-epingle-des-parametres-parfois-contestables-de-selection_6030952_3224.htm
réforme
/ baccalauréat
/ tables rondes
Article réalisé par Vie Etudiante
Publication : Mardi 03 Mars 2020
Illustration : Mobilisation aux lycées les Bourdonnières
Crédit photo : @pyrat_nantais