La Main de Montréal, véritable musée du street-art à ciel ouvert
À Montréal, la pratique du street-art est de plus en plus acceptée socialement par les institutions publiques et politiques. Et ce, grâce à de nombreux évènements et collectifs actifs, qui ont pour but la démocratisation de l'art urbain. Reportage.
En quatre ans, le festival MURAL s’est élevé au rang des plus importants rassemblements d’art urbain en Amérique du nord. Faisant de Montréal une ville active dans la pratique du street-art, désormais reconnue.
Le boulevard Saint-Laurent, investi pendant onze jours par le festival, compte aujourd’hui une soixantaine de murales, une collection digne d’un véritable musée à ciel ouvert. Lors de sa quatrième édition en juin dernier, MURAL organisait des visites guidées à travers la Main, pour faire découvrir cet art visuel à l’origine illégal, de plus en plus démocratisé et commercialisé.
Les visiteurs sont là, les yeux rivés vers le ciel, au pied d’une vieille bâtisse derrière le boulevard Saint-Laurent, au croisement rue Prince-Arthur, admirant ce tableau mural gigantesque. La plupart sont Montréalais, les autres, des touristes en vacances dans la mégalopole.
Les rayons du soleil laissent entrevoir sur le mur en brique rouge la représentation d’un cheval agité, dont le mouvement est finement tracé par une technique artistique authentique et surprenante, le rendant presque sauvage. Faith Forty Seven: la signature de l’œuvre, inscrite au pinceau fin, commence à s’estomper. Mais le mur semble précéder l’art. Le mur est l’art. Le mur est politique, tout comme le message. Cette murale a été réalisé «durant l’édition 2015 du festival MURAL» explique Miguel Simao Andrade, guide Montréalais de 37 ans, et passionné de street-art. «L’artiste qui l’a réalisé vient d’Afrique du Sud. Elle a commencé l’art urbain illégalement à l’âge de 16 ans. Ses origines ont influencé son art: c’est une femme blonde et blanche, une situation délicate dans ce pays. Elle dénonce beaucoup le racisme [...] Ses fresque sont spirituelles, et soulèvent beaucoup d’enjeux socio-politiques.» Dans le street-art, l’origine des artistes est complémentaire aux œuvres. Durant la visite, le guide s’applique à raconter en détails l’histoire de chaque artiste, et chaque fresque.
Un musée à ciel ouvert
Car c’est aussi la raison d’être du festival: démocratiser l’art urbain. Créé en 2012, Mural est devenu l’un des plus grands rassemblements d’art public nord américain. Chaque année en juin, il rassemble une trentaine d’artistes venue du monde entier pour réaliser des fresques en toute légalité sur les murs de la Main, investis par les organisateurs. Aujourd’hui, le quartier compte plus d’une soixantaine de murales, réalisées depuis la première édition du festival, réparties sur un territoire de 21km2 autour du boulevard Saint-Laurent. Entre le plateau et le Downtown, cette zone s’est transformée en un véritable musée à ciel ouvert, souhaité par ses organisateurs. «On veut donner une chance aux artistes de faire des murales en toute liberté et légalité, explique le co-fondateur de MURAL André Bathalon, croisé pendant la visite guidée. On leur offre des murs et on achète tout le matériel nécessaire. Notre mission est de démocratiser cet art et de faire de Montréal une sorte de musée ouvert à tous».
Quand l’underground sort de sa cave
La traditionnelle frontière entre l’œuvre et son public n’est plus. N’importe qui se baladant dans Montréal peut admirer librement les fresques gigantesques, hautes en couleurs et en messages politiques. Pourtant, le street-art tel qu’on le connait est né des milieux underground. Il est considéré comme un art de rue protestataire, dont la pratique est illégale.
Comment s’est-il aujourd’hui tant répendu, jusqu’à être accepté par les institutions publiques, au départ cibles de ces mouvements de contestation ? Le graffiti est une forme de revendication ancestrale, qui remonteraient à l’Antiquité, selon des traces qui auraient été trouvées. C’est toutefois les contre-cultures du New York des années 1970 qui ont vu naître le street-art. «La rue c’est à la fois le lieu de production, et la source d’inspiration, explique notre guide du jour Miguel, tout en poursuivant le parcours à travers Montréal. La plupart des artistes de rue ont grandi dans la culture underground, dans le milieu du skateboard ou du hip-hop. Ce sont des univers liés à la rébellion, à l’adolescence, et à l’interdit.»
Contrairement à ses cousines américaines, New York, Philadelphie ou Los Angeles, Montréal ne figure pas sur la carte des villes pionnières de ce mouvement. Elle n’a d’ailleurs jamais apprécié voir ses murs ornés de graffitis, tags ou autres formes artistiques urbaines. En 2014, le nettoyage des graffitis sur les murs des arrondissements et des organismes de transport de Montréal a coûté au moins 4,4 millions de dollars aux contribuables, selon un article de La Presse. À ces dépenses s'ajoute 1,1 million de dollars prévus chaque année par la ville dans son budget propreté. L'argent doit servir à nettoyer les graffitis sur le domaine public, en plus de financer des activités de prévention et la création de murales.
Pourtant, la pratique de l’art urbain a énormément évolué au fil du temps sur l’île. De plus en plus d’artistes locaux et internationaux, formant pour beaucoup des collectifs, y trouvent une inspiration signifiante. Au point où l’on peut aujourd’hui assister en direct à la création de véritables chefs-d’œuvre sur des murs de dix mètres.
Les murs urbains: nouveaux produits commercialisés
Le boulevard Saint-Laurent est d’ailleurs un exemple flagrant de l’expansion de l’art mural. Artère principale de la ville de Montréal, la Main sépare la métropole en deux du Nord au Sud. Ses résidents, une multitude de communautés culturelles différentes, reflètent la mixité et le métissage ethnique de la ville. Aujourd’hui, la Main continue d’être ce lieu avant-gardiste pour la scène culturelle, gastronomique et sociale, une revitalisation assurée depuis 2000 par la Société de développement du boulevard Saint-Laurent, comme il est expliqué sur le site du festival.
Des événements tels que le festival MURAL, ou UnderPressure, pionnier du graffiti à Montréal, sont d’excellents témoins de la reconnaissance de l’art de rue par le grand public, et attirent chaque année de plus en plus d’amateurs d’art à travers le monde. Créé en 1995, le festival UnderPressure est le prochain grand rendez-vous de l’été. Alors que MURAL souhaite rendre accessible l’art de la murale auprès du grand public, UnderPressure s’intéresse à la démocratisation du graffiti. Ce festival a lieu chaque été sur la rue Sainte-Catherine, et est considéré par ses pairs comme la première manifestation illustrant le changement d’attitude de Montréal envers l’art urbain.
Les graffitis et fresques murales, telles qu’on les admire à travers des artistes comme Banksy, ou Space Invador, sont en effet passés d’un statut d’illégalité, pour devenir respectées et reconnues en dehors du cercle restreint de la sous-culture dont ils tiennent leur origine.
Muraliste: une nouvelle profession
Comment l’art de rue est-il devenu acceptable socialement ? Parmi les collectifs les plus reconnus dans cette nouvelle profession à Montréal, A’shop, fondé en 2009, regroupe des artistes muralistes Montréalais «purs et durs», selon l’un de ses membres Gavin McGregor. «On a commencé en faisant des murales et on en fera toujours. On connait toutes les techniques de préparation d'un mur, on connait les caractéristiques d'un mur qui assure la longévité de la murale. Nous sommes des muralistes professionnels. Nous ne sommes pas des artistes de studio qui tentent de ré-inventer leurs toiles en format murale, comme c'est la tendance aujourd’hui. On compte parmi nous des vétérans de la scène du graffiti Montréalais et on peint des murales depuis les années 1990. Ce sont les caractéristiques de notre groupe qui nous différencies de plusieurs autres artistes urbains.»
Le fait que le graffiti et la murale soient devenus des formes d'art plus socialement acceptables a permis à plusieurs pratiquants de faire carrière dans un domaine qui était mal compris par le passé.
«L'apport de ressources monétaires à cette culture aide a produire une quantité plus importante d’œuvres. Et apporte un nouveau souffle de vie. Par contre c'est au détriment des intentions originales de ces deux mouvements qui se disaient "contre-culture"» poursuit Gavin McGregor, chargé des ventes et du marketing au sein du collectif. Pour lui, il existe aujourd’hui «un transfert d'une esthétique et une tendance inspirée du street-art art vers le domaine de l'art public», qui offre de nouvelles opportunités et possibilités aux artistes.
«L'intention de l’art de rue est de créer des interventions non autorisées qui ne passent pas par le moule à gaufre des institutions publiques. Les deux peuvent tenter d'être compatibles, mais je ne crois pas qu'ils le sont.»
Pour lui, cette acceptation sociale fait croître et ré-invente ce mouvement né de l’underground. Concernant la position économique de la ville de Montréal, Gavin McGregor semble optimiste:
«Montréal est une ville bourrée de talents. Mais cette offre ne correspond pas assez à la demande. Il existe plus d'artistes que de clients. Les Montréalais subissent donc une baisse en valeur monétaire de leur art. Pour plusieurs artistes, s'installer ailleurs semble un choix de carrière intelligent. Pour d'autres, rester ici et baigner dans l'inspiration de ses pairs est une meilleure option.»
Is sky the limit?
Alors qu’il fallait auparavant se faufiler sous les ponts ou dans des ruelles sombres pour faire passer un message artistique le plus rapidement possible, par peur de s’attirer des ennuis avec les autorités, une transformation de la pratique du graffiti est en cours.
Sans laisser de côté son aspect rebelle et contestataire, sa démocratisation fait émerger de nouvelles formes légales permettant aux artistes de faire sortir leur art de l’ombre. Les œuvres du collectif A’shop ornent plusieurs places publiques dans Montréal, et sont bien connus des citadins.
Passant des murs à la toile, ces artistes commercialisent leurs œuvres à des commanditaires privés et publics, tout en restant guidés par une forme de substance rebelle. Mais quelle sera la limite de cette expansion?
Comme l’expliquait Miguel, le guide de MURAL, lors des visites, l’expression artistique des murales géantes paraissent s’étendre à l’infini. «Sky is the limit» précisait-il. Grâce aux initiatives des festivals comme MURAL et des collectifs, l’art de rue prend une forme plus collective et solidaire, mettant en relation des artistes d’origines différentes. Et elles ont le mérite de nourrir une aspiration encore plus grande pour créer et transmettre un nouveau mouvement artistique en pleine évolution.
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Joséphine Van Glabeke
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Article réalisé par Redacteurs Prun'
Publication : Lundi 25 Juillet 2016
Illustration : Cette murale, située au bord du boulevard Saint-Laurent, a été réalisé par des artistes du collectif Montréalais A'Shop
Crédit photo : Joséphine Van Glabeke