Roland : La culture dans la rue

Tel la fontaine qui lui fait face, Place du Cirque à Nantes, les étrangers le remarquent immédiatement lorsque les habitués le négligent. Échange avec un homme déroutant, saisissant, ayant la rue pour quotidien.

Installé sur cette même place depuis maintenant 13 ans, Roland marque par son charisme naturel, par son bagou impudique. Son air narquois, il ne le quitte qu'une fois assombri par l’abîme de l'alcool, attiré dans une démence des plus profonde. Son regard envoûte, évasif et perçant à la fois; nourrissant un peu plus une ambiguïté fascinante. « La rue c'est de l'humanisme et du militantisme avant tout, avant même la misère », et la culture dans tout cela ?

Car Nantes, reconnue par tous comme une ville culturelle, est sa maison; son architecture l'apaise. C'est la beauté du lieu qu'il recherche ou l'image qu'il s'en est faite. Une image attisée par les souvenirs d'un passé le menant au dehors. C'est donc naturellement qu'il choisit son environnement, son lieu de vie, pour s'y sentir le mieux possible. Quoi de plus paisible donc que Nantes, animée par l'art, dans une quête du beau et du sens.

« La musique ça porte »

Omniprésente dans son existence, la musique n'a pour autant plus d'aspect concret. N'ayant plus d'attache matérielle, les paroles et partitions sont gravées dans son esprit, à tel point que l'on entendrait presque les vibrations émaner de son corps. Principalement du rock progressif, des Pink Floyd à Eddy Mitchell, en passant par Balavoine.

Oui c'est ça, on perçoit la mélodie qui s'échappe, celle, mystique de Time des Pink Floyd, suspendue à ses côtés. Elle suscite une mélancolie pleine d'espoir, du temps qui ne semble plus avoir d'importance. Le premier couplet prend tout son sens :

« You fritter and waste the hours in an offhand way (tu gâches et tu gaspilles les heures d'une façon désinvolte)/

Kicking around on a piece of ground in your home town (traînant dans une partie du terrain de ta ville natale)/

Waiting for someone or something to show you the way (attendant que quelqu'un ou quelque chose te montre le chemin) ». 

Et puis il y a Ange qu'il va voir en concert quand ils passent à Nantes, Ange et son hymne à la vie. Singulièrement il en comprend la portée, un hymne à la vie, pourtant pas au paroxysme de la sienne.

Autre artiste ayant une part dans sa playlist intérieur, Dominique A, qu'il a croisé, d'ailleurs, à plusieurs reprises dans les rues de Nantes. Il lui a glissé qu'il l'associe à William Sheller, y constatant beaucoup de ressemblances artistiques.

Le nouveau monde de ce dernier le transporte. Son visage, lorsqu'il en parle, confirme la proximité de cette chanson au texte lourd de sens, à son ressenti. Le texte pose des mots sur ce qu'il n'arrive plus à exprimer :

« Vous qui restez si bien de glace /

Souffrez que mes mots dépassent /

Le peu de raison que je tienne/

Quand vous laissez ma peine /

En disgrâce /

Devant votre indifférence /

Je perds un amour immense /

Pour lequel j'avais au départ /

Comme aux jeux de hasard /

Peu de chances ».

La musique l’emporte mais « il ne faut pas confondre cause et conséquence », à savoir, si c'est la musique qui fait les émotions ou les émotions qui rapportent à la musique, parce que tellement interprétable. Il en a fait pendant quelques années de la musique, de la guitare, puis finalement il « l'a refilé à un copain dans une rue plus loin ». 

Les mots pour compagnons

La littérature l'accompagne également, pour orienter sa pensée, attiser son sens critique. Il se sert de chaque lecture. Jamais de hasard, souvent liée au contexte du moment, d’où la sélection de ce roman, jaunis par le temps, sur l'histoire des religions.

Hétéroclite, même l'humour y a sa place, c'est le cas de ce bouquin qui trône à ses cotés Comment devenir un connard, « acheté d'occas', trois euros dans une bouquinerie ». En lisant il se sort de l'ennui, dans les moments creux, lorsqu'il ne trouve pas d'adversaire pour jouer aux échecs.

Les bandes dessinées, elles aussi, le représentent d’une manière assez singulière. Car c’est un être caricaturé, un personnage. Il mélange le charisme de Lucky Lucke, la simplicité de Tintin, la démarche de Gaston Lagaffe et le goût pour la vie de Boule.

Ses lectures ne se résument pas qu’à la seule littérature, la presse, il l'a considère. Tous les jours, par les journaux gratuits, il s'informe, et quand il est levé à 6h30 il se rend « au Mac do' pour feuilleter Ouest France ».

Il a toujours possédé un poste de radio « parfois même des très beaux poste », fréquemment en marche. Il écoute toutes sortes de programmes, plutôt des émissions. Cela lui permet également de suivre les matchs de football, en fervent amateur. Connaissant son fanatisme pour le FC Nantes, je ne lui donne pas l'occasion de m'en parler, l'orientant plutôt sur le cinéma. 

La semaine dernière, il s'est rendu à une séance organisé par une association, qui diffusait un« très beau » film, sur des contrées lointaines, lui rappelant un ami mongolien qui, il y a quelques années, s'est fait expulsé « parce que trop porté sur la boisson ». Le cinéma, cependant, est trop peu accessible alors qu'il offre des sensations et émotions plus détaillées que la musique, plus perceptibles, sur des faits précis de sa vie et non sur le sentiment d'un tout abstrait. Parce que dans sa vie « il n'y a uniquement que des souvenirs ». 

Paradoxalement il croit en la politique, on le surnomme « Melanch' », il est engagé dans le parti de gauche, le discours lui parle. La réaction de François Hollande en rapport aux attentats lui a plu, tout comme sa ligne de conduite pour la Cop 21. En revanche les scores du FN l'inquiètent, il préfère même ne pas s'y attarder, ne veux pas en parler, les a « pris en pleine face ».

Sa curiosité le mène à toute sorte d'art, dans la mesure où cela l’intéresse, immédiatement il le stock, car « on ne possède vraiment que ce dont on ne peut se séparer », ne gardant trace physique, matérielle, il possède peu de choses, mais conserve tout mentalement, spirituellement. C'est profond, nécessaire, il ne peut l'abandonner au risque de s'abandonner lui-même. 

Convaincu que de notre entretien il n'en gardera qu'un souvenir vague, je le quitte, l'abandonnant à la fraîcheur d'un début de soirée nébuleux. Roland est comme ça, but en blanc, franc. Son quotidien comme son passé est chargé de symbole, il intrigue, attire. Un homme captivant, attachant, ancré dans sa réalité.

Article réalisé par Gabriel Orieux

Publication : Mercredi 13 Janvier 2016

Illustration : Pochoir rue de Lyon

Crédit photo : non signé