La croisette d'Elsa-Journal d'une cannoise éphémère, Jour 9
Comme un poisson dans l'eau...
Réveillée tardivement à cause des excès de la veille, mon corps me fait clairement sentir qu'il lui faut du repos si je veux terminer dans de bonnes conditions ma semaine cannoise. Je l'octroie donc un peu de détente même si mon esprit est déjà ailleurs. A force de réseautage, je m'en vais le cœur léger vers le palais à l'heure du déjeuner, car je vais y chercher deux invitations pour la montée des marches que nous désirions le plus, le dernier film du jeune génie canadien Xavier Dolan, "Mommy", en compétition officielle.
Jeudi 22, 21h30, tenue de soirée. Je tiens enfin entre mes mains ce que convoite la moitié de la côté d'azur en ce mois de mai, une montée des marches sur tapis rouge à l'heure des photographes, des équipes de films, des retransmissions mondiales, dans la salle du Grand Théâtre Lumière... Galvanisée par cette petite victoire, je refais un saut au service presse audiovisuelle, et l'une des responsables m'avait également mis de côté une invitation pour la montée des marches du film de Ken Loach, "Jimmy's hall", jeudi aussi, à 18h30.
Ébranlée, je réalise que je possède alors, au fond de mon sac, et ce en moins de 10mn, ce que j'ai convoité pendant des jours... Je range précieusement tout ceci avec l'invitation pour le déjeuner du maire demain midi... (Oui, il se trouve que j'aime bien vous surprendre avec mes petits bons plans de dernier moment).
"Lost River" de Ryan Gosling : haletant, ultra-stylisé, inclassable
Je vais fébrilement m'asseoir pour travailler, je vous promets des critiques plus détaillées de mes films coup de coeur dans les semaines à venir, mais nous sommes sans cesse interrompues ici, par mille coups de fils à passer (la fameuse chasse aux interviews, ce qui pour l'instant reste le plus difficile), des idées de dernière minute, le programme de la journée à refaire... Il se murmure dans les couloirs du Grand Palais que Jean-Luc Godard, bien sûr, ne viendra pas présenter son dernier film en compétition, "Adieu au langage". Il est d'ailleurs temps pour moi, déjà, d'aller attendre pour le film de Ryan Gosling (qui je l'avoue me branche davantage que celui de l'excentrique et fatigant Godard), son premier film, en compétition dans la section Un certain regard. La file d'attente est immense, serpentant sur la moitié du troisième niveau du Grand Palais. Les regards sont toujours autant désapprobateurs quand ma carte de presse me permet de me positionner non seulement dans une file infiniment plus courte, mais qui, surtout, entre en priorité dans la salle... Je prends donc place sereinement, impatiente de voir ce que peut donner le très beau Ryan Gosling derrière la caméra.
"Lost river" (joli titre, pour commencer), est de ces films haletants, au scénario sinueux et à l'image ultra-stylisée, qui ne peut en aucun cas vous laisser indifférent. Le synopsis lui-même est quasiment impossible à simplifier. Dans une ville fantôme où les maisons brûlent (Détroit, toujours, décidément source inépuisable de cinéma), Billy, (Christina Hendricks, "Mad men") mère de famille à la beauté renversante, se voit contrainte d'accepter un emploi dans un cabaret gothico-glauque, néo-lupanar morbide, où s'exhibe sur scène le côté le plus noir de l'être humain. Son fils aîné, Bones, découvre ce qui se cache sous le lac artificiel de la région, pendant que Rat, sa voisine solitaire, vit avec une grand-mère muette. Et puis, il y a ce truand au visage mutilé, ce fauteuil de velours sur le coffre d'une voiture, ce chauffeur de taxi au regard doux, et le feu, toujours... Dans ce film inclassable surgissent à chaque image les influences esthétisantes de Nicolas Winding Refn (qui avait notamment dirigé Gosling dans "Drive") et la poésie scénaristique d'un David Lynch.
Sans doute influencé par ses maîtres, Ryan Gosling signe donc un premier onirique, à la frontière du surréalisme, surfant donc sur des accents Lynchiens au vertus hallucinatoires. Image léchée, musique âpre et vibrante, couleurs appuyées, tour à tour bleues ou rouge sang, atmosphère oppressante, spectateur scotché. Si le parti pris conceptuel de Gosling en agacera certains, je ne peux que vous avouer qu'il a été pour moi une séduisante expérience, à la beauté ravageuse, une plongée macabre et sublime de noirceur, une gifle de cinéma, enfin.
De yacht en yacht, de Pascal à Sharon
Pour sortir indemne d'un tel film, et revenir à la réalité, longer la mer fut une solution apaisante. Quelques temps plus tard, nous nous rendions à la "soirée Guadeloupe" (réseau-réseau) au village international, Rhum Coco et nourriture typique, musique sympa, et Pascal Légitimus, qui me souffle "nous on se connaît !" Euh et bien oui, on s'est croisé sur Nantes lors de la tournée de promo des Trois frères, le retour. Nous conversons un moment, il enchaîne photo sur photo, semble parfois s'en lasser, viendra nous dire au revoir, me parler de mes cheveux et nous dire qu'il file au restaurant. Nous, on a filé à la soirée sur le yacht Arte (réseau-réseau). Deux yachts à côté, quelques photographes jouent de l'appareil, on entend "Sharon, Sharon", et l'actrice de "Basic Instinct", pieds nus sur le ponton, dans une très courte robe lamée, prenait la pose avec le sourire.
Délaissant la vision de ces photographes statiques, nous nous sommes laissés entraîner sur les trois étages du yacht, mix DJ, open bar, Champagne et bonbons Haribo. La petite fourmilière sur l'eau est éclectique, le pont supérieur très venté, la vue sur la baie cannoise scintillante sublime, , on entend parler anglais, italien, et quelques langues de l'est. Quelques rencontres opportunes plus tard, peut-être quelques autres bonnes nouvelles pour demain, mais chuuuut...
Je rentre en bus de nuit, même à cette heure-ci dans les transports en commun, derrière moi, on parle de cinéma... Cannes, pendant 12 jours, respire le 7ème art, c'est sans doute pour cela que j'y suis si bien...
festival de cannes
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Article réalisé par Elsa Gambin
Publication : Jeudi 22 Mai 2014
Illustration : Ryan Gosling derrière la caméra
Crédit photo : Ryan Gosling