La croisette d'Elsa-Journal d'une cannoise éphémère, Jour 8
Marion Cotillard, Wim Wenders, une interview, et le retour du soleil. La vie est un long fleuve tranquille...
Dernier matin où le réveil m'agresse à 6h30, ensuite je lâche du lest... Mais cette agression sonore matinale a un but noble, celui de me permettre de voir le dernier film des frères Dardenne, sélectionné (est-utile de le préciser ?), en compétition officielle.
Jean-Pierre et Luc Dardenne sont des habitués de la croisette, citons entre autres la Palme d'or pour "Rosetta" en 1999 et le grand prix du Jury pour "Le gamin au vélo", en 2011. Leur film cannois de cette année est évidemment source d'impatience et de pronostics, d'autant plus que Marion Cotillard y incarne le rôle principal. Deux jours, une nuit raconte le week-end stressant d'une jeune mère de famille, qui, sortant tout juste de dépression, risque de perdre son emploi. Ses collègues doivent en effet choisir, crise oblige, entre leur bonus et le maintien à son poste de leur collègue. Un par un, elle cherche à les rencontrer, afin de faire pencher la balance de son côté.
Le cinéma social des frères Dardenne ne souffre d'aucune fausse note, leur habileté à saisir les complexités des rapports humains et sociaux et à les mettre en scène, est toujours d'une grande justesse de ton. Ce film-ci ne déroge pas à la règle, il est incontestablement d'une réalité cruelle et troublante. Chacun a ses raisons, mais les petites lâchetés et les grands tourments font qu'il est parfois difficiles de les assumer. Deux jours, une nuit est une sorte de compte à rebours, à la fois fort et empreint d'une grande amertume envers cette société qui nous entraîne parfois vers la bassesse. Un bon film, mais qui ne possède pas l'aura d'une palme d'or.
Rencontre avec un passionné, Pascal Tessaud
Je croise au détour des couloirs du Grand Palais mon ancien professeur de cinéma au lycée, il me reconnaît, nous conversons longtemps, je ris au souvenir d'anecdotes marquantes, nous avons les mêmes en tête. Je fais un saut au service presse, où l'on m'explique que pour faire une "vraie" montée des marches en tenue, le soir, la presse ne dispose pas d'invitation, nous ne sommes pas du tout prioritaires étant donné que nous avons déjà certains avantages avec nos projections de presse du matin. Cela s'entend, mais je persiste. A Cannes, il faut insister, voire même quémander, c'est ainsi. Sinon on n'a rien.
A peine le temps de se poser pour travailler que nous sommes conviés à l'interview du réalisateur rencontré dimanche à l'ACID, avec son film "Brooklyn", hymne sincère à la banlieue et au slam, premier long-métrage de ce passionné de rap. Pascal Tessaud est très prolixe, mais animé d'une telle joie et d'un tel contentement que nous le recevions en interview que c'en est agréable. Il nous parle longuement de ses découvertes culturelles, de ses claques artistiques, qu'il nomme des "chocs thermiques", de son désir de transmettre quelque chose du monde du rap souvent déprécié. L'actrice et rappeuse suisse du film, nom de scène KT Gorique, se joint à nous, elle est souriante, si naturelle. L'entretien est très long, je cours à une autre projection.
L'humour singulier de "Tu dors Nicole"
Tout s'enchaîne, je file à la Quinzaine des réalisateurs, qui décidément m'appâte chaque jour. J'attends longuement pour voir un des rares films en noir et blanc de ce festival dont j'affectionne le titre, pour je ne sais qu'elle raison. "Tu dors Nicole", du réalisateur Stéphane Lafleur, nous met dans les pas de Nicole, 22 ans, le temps d'un été. Entre ennui serein et observation distante des répétitions du groupe de musique de son frère aîné, Nicole traîne avec son amie Véronique, repousse avec amusement les avances d'un garçon d'une dizaine d'années à la voix de stentor, et rêve de voyage. Le noir et blanc est toujours un pari risqué, qui peut être pompeusement esthétisant. Ici, l'écriture décalée et l'originalité de certaines séquences sont plutôt positivement servies par ce pari esthétique. L'humour unique dégage une sorte de lyrisme étonnant, porté par le jeu tout en distance d'une Julianne Côté imperturbable.
Le Sel de la terre, un bouleversant tour de la planète
Dans la foulée, je passe voir l'attachée de presse de la Quinzaine des réalisateurs, qui est aussi celle - amis nantais - du Festival des 3 Continents, mais qui m'avoue qu'avoir des interviews pour les films de la Quinzaine relève du parcours du combattant, je cours (encore !) pour voir "Le sel de la terre", présenté dans la section Un certain regard. Ce documentaire magnifique,réalisé par Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado, nous emporte au gré des travaux photographiques et des voyages à travers le monde du père de ce dernier.
D'abord témoin des événements marquants de notre Histoire, les guerres, les famines, les exodes, du Sud de l'Amérique au continent africain, ses photos, d'une grande beauté, sont bouleversantes d'humanité et de terreur et témoignent des ravages et de la violence des hommes. Profondément changé par ce qu'il a vu, psychiquement bouleversé, il nous conduit dans une seconde partie vers des lieux reculés, grandioses, parmi les plus beaux de la planète, à la rencontre de population méconnues. Rien que du sublime et de lourds applaudissements en fin de séance pour applaudir ce travail documentaire émouvant des deux hommes, présents dans la salle (oui, oui, Wim Wenders !)
Rejoignant une partie de mon réseau nantais qui quitte la croisette, je me retrouve avec leurs badges exploitants, qui me permettront peut-être d'accéder au Graal de la tenue de gala du tapis rouge, eux, pouvant prétendre à des invitations, avec un système de points. Deux invitations en plus en poche, je vais d'un pas décidé à la soirée privatisée sur la plage Magnum, open bar, verrines de salades de fruits, musique sympa et DJ, et bien sûr glaces Magnum. Je savoure une vodka-orange avec les bateaux brillants de mille feux au loin sur la mer noire en cette heure tardive. Le mot d'ordre unanime lorsque je suis partie à Cannes était "profite!". En cet instant un peu idyllique, c'est exactement ce que j'ai fait. Mais tout a un prix. Le lendemain, il fut impossible de se lever pour mon film de 10h, et une pointe de culpabilité me gagna.
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Article réalisé par Elsa Gambin
Publication : Mercredi 21 Mai 2014
Illustration : Affiche du film Le Sel de la terre de Wim Wenders et Juliano Ribiero Salgado
Crédit photo : Sebastiao_Salgado