La croisette d'Elsa-Journal d'une cannoise éphémère, Jour 6
Marathon 7ème art : 4 films, 8h d'écran géant, et des déceptions.
Quatre heures de sommeil plus tard, me revoilà sur la croisette, à 7h30 du matin. Au festival de Cannes, le dimanche est un jour comme les autres. Je n'ai plus la notion des jours, des heures, des dates et encore moins le souvenir de mon dernier repas. Enfin, repas...
Ce matin-là, je monte enfin LES marches, je foule le tapis rouge, quasi désert à cette heure matinale. Je pénètre enfin dans LA salle, le grand théâtre Lumière. Je la regarde à peine, sans le brillant des robes et la présence des artistes, elle est simplement une très belle salle, avec un écran aux dimensions impressionnantes il est vrai, qui me subjugue tout de même. J'étais très impatiente de découvrir le dernier film de Tommy Lee Jones, "The Homesman".
The Homesman en manque d'action
Présenté en compétition officielle, "The Homesman" est le second western de l'acteur-réalisateur, après le superbe "Trois enterrements", qui était lui aussi sur la çroisette en 2005. Tommy Lee Jones était reparti avec le prix d'interprétation masculine et Guillermo Arriaga avec le prix du scénario. Mordue des grandes étendues de l'ouest sauvage, j'étais restée sur le souvenir très fort de ce film. Je ressentis une pointe de déception après le visionnage de celui-ci, au scénario pourtant prometteur.
Nebraska, fin 19ème. Mary Bee Cuddy (Hilary Swank) pionnière solitaire en quête de mari, vit seule dans l'ouest inhospitalier. Trois de ses voisines perdent la raison, face à la difficulté de vivre dans ces contrées arides et désolées. Chargée de les ramener à l'est, dans leurs familles, Mary Bee prend la route en compagnie de George Griggs (Tommy Lee Jones), inconnu profiteur qu'elle sauve de la pendaison en échange de son soutien sur le trajet. L'atypique convoi, l'autoritaire pionnière, le vagabond débrouillard et les trois jeunes femmes folles, est au cœur de ce western minimaliste.
S'il est incontestablement le noyau dur et passionnant du scénario, Tommy Lee Jones ne semble pas en exploiter tout le potentiel. Mettant volontairement de côté les codes habituels du western, avec suspense et coups de fusil, son curieux régiment adopte un pas de promenade trop plan-plan, qui laisse le spectateur sur sa faim. L'idée est belle, plutôt bien mise en scène, mais je dois reconnaître que j'étais constamment à l'affût d'un peu d'action, en vain, et ce malgré un rebondissement plutôt inattendu au 3/4 du film.
Yves Saint Laurent again & again
Délaissant les plaines sèches et inhospitalières du grand ouest, je plongeais dans un bain de luxe parisien, avec le très attendu second biopic sur le couturier Yves Saint-Laurent, après celui de Jalil Lespert, où Pierre Niney, plutôt inspiré, campait un Saint-Laurent convainquant. Le film de Bonello, lui, avait donc cette prétention de monter les marches. Je ne suis pas sûre qu'il le mérite davantage que son prédécesseur.
Si Gaspard Ulliel est lui aussi parfait en couturier névrosé (ses intonations de voix sont semblables à celle de Pierre Niney !), le scénario pâtit d'une trop longue durée, agrémenté de scènes inutiles et chicissimes, qui servent à démontrer le talent de mise en scène du réalisateur plutôt qu'à satisfaire le spectateur. L'esthétique du film est irréprochable mais l'exercice, au final assez vain, fait que l'on s'ennuie un peu, sans que de grandes émotions ne viennent perturber le tranquille ronflement de ce biopic millimétré. Le génie torturé de ce grand homme méritait sans doute mieux que ces étalages maintenant archi-connus de déchéance et de drogues. Saint-Laurent était avant tout un créateur immense, un révélateur de féminité, avant d'être un camé à l'opulence excessive. Bonello l'élégant nous avait habitué à mieux que cela...
Des nouveaux sauvages, drôle mais inégal
Sortant des boîtes parisiennes et des robes Mandrian, je reprends la file d'attente pour la même salle, quelques minutes après seulement. Cette fois-ci, je compte bien m'évader de la fadeur de ma matinée filmique grâce à l'argentin Damian Szifron, et ses "nouveaux sauvages", de son titre original "Relatos salvajes", en compétition officielle, co-produit par Pedro Almodovar himself. Construit comme un film à sketchs, il en a donc également le défaut principal : l'inégalité de ces différentes aventures, tour à tour surprenantes, décalées et cruelles. A travers ces épisodes plutôt bien écrits, le réalisateur argentin dénonce un certain nombre d'incohérences et d'exagérations rendues possibles par une société malade et individualiste, faite pour rendre fous ceux là mêmes qui y vivent, où la violence y est incorporée et quotidienne.
Retenons tout de même la première et la plus brève des saynètes, désarmante de cocasserie aérienne, très Almodovarienne d'ailleurs, et la dernière, assez jubilatoire, qui voit un mariage traditionnel tourner au combat de mots...et de corps.
Brooklyn, du rap et de la fraîcheur
De cette boulimie cinéphilique du dimanche matin, je ne garde au final qu'un vague souvenir d'amertume. Ou bien deviendrais-je trop exigeante à force de visionnages ? Je me décide peu de temps après à attendre longuement au soleil l'événement journalistique du jour, à savoir le dernier David Cronenberg, promesse de famille hollywoodienne déjantée. Une heure trente d'attente plus tard, nous apprenons que la salle est bondée, les blancs, roses et bleus ayant eu le privilège de leur couleur de badge. Qu'à cela ne tienne, un petit tour à la sélection de l'ACID, un premier film peut s'avérer une pépite inattendue.
"Brooklyn", film de Pascal Tessaud, raconte l'histoire de la jeune Coralie, qui, quittant sa Suisse natale, veut se donner de meilleures chances de percer dans le rap en banlieue parisienne. Elle s'y atèle avec motivation et talent, au sein d'une association musicale de la Seine Saint-Denis. A la frontière du documentaire, le premier film de ce jeune réalisateur exhale encore un amateurisme plutôt sympathique, troublé par des cadrages plutôt branlants. Cependant, la fraîcheur qui s'échappe de ces jeunes comédiens habité, et cet amour franc du rap et des rimes sauvent ce bout d'essai pour le transformer en exercice de style plutôt intéressant. Les défauts visibles de "Brooklyn", notamment un scénario léger et vacillant, sont ainsi généreusement atténués par l'engagement certain du réalisateur et des textes plutôt bons à forte résonance politique. Le regard sur la banlieue est teinté de bienveillance, sans tomber dans l'idéalisme. Assurément pas un coup de maître, mais un joli coup d'essai !
Le marathon s'est clôt ainsi, et la fatigue a eu raison de moi. La croisette sera toujours là demain, sous la pluie paraît-il, pour mon plus grand bonheur de nantaise.
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Article réalisé par Elsa Gambin
Publication : Lundi 19 Mai 2014
Illustration : Hilary Swank dans le rôle de Mary Bee Cuddy dans Homesman
Crédit photo : Homesman film