La croisette d'Elsa-Journal d'une cannoise éphémère, Clap de fin
Et la vie reprend son cours...Le glamour d'une cérémonie puis le blues du démontage.
Dimanche matin en salle de presse. A l'heure où je vous écris, beaucoup d'ordinateurs sont disponibles. La majorité des journalistes sont repartis. Des films passent encore toute la journée et ce soir dans les différentes salles du Palais des festivals. Les cannois ont le droit d'aller voir gratuitement le film qui a obtenu la Palme d'or. 3h16 de verbiage au fin fond des montagnes turques.
Mon ton amer est celui des départs, vous l'aurez compris. Retour rapide sur le samedi cannois, ambiance survoltée de cocotte-minute jusqu'à la cérémonie de clôture, puis une tornade invisible de rangement. Le festival de Cannes, c'est une ville-champignon, comme ces petites villes du grand ouest sauvage pendant la ruée vers l'or, les poupées russes de Cannes. Au coeur de la grande ville, des baraquements, des tentes, des modulaires, des bungalows chics, des villages entiers se dressent puis disparaissent comme ils étaient venus. La poupée russe redevient vide, la ville est rendue à ses habitants, soulagés.
Winter Sleep, photographique mais fade
Hier samedi, j'ai pu aller voir le film du turc Nuri Bilge Ceylan, "Winter sleep". Un murmure cannois le disait sublime, admirable, profondément intelligent, distillant un message fort. Je m'engage donc pour 3h16 d'écran, dans une lointaine contrée de la Turquie, la région de Cappadoce. Un petit village dans les montagnes, un hôtel quasi-désert à l'approche de l'hiver, des habitants pauvres et démunis. Aydin, la soixantaine, acteur à la retraite, vit comme un ermite intellectuel, régnant en maitre fortuné sur le village. Distant, un brin misanthrope, imbu de lui-même. Le huis-clos saisonnier sera l'occasion pour sa femme, sa soeur et ses amis de dire à Aydin ses quatre vérités, sans détour.
Nuri Bilge Ceylan confronte ainsi un homme à la dure réalité non seulement de l'image qu'il renvoie, mais de ce qu'il est vraiment. Le film entier repose sur l'autopsie psychologique qui est imposée à Aydin par l'ensemble de son entourage. Les scènes discursives, dans l'ombre et l'intimité des habitations, sont certes d'une acuité brillante, mais usantes par leurs longueurs. Le réalisateur leur oppose une photographie majestueuse, avec l'immensité imposante des paysages d'Anatolie. On compare le talent de Ceylan à du Bergman, du Tchekhov. Il est vrai que le classicisme de ce film très rigoureux est impeccable de talent, mais ce n'est pas le cinéma qui me fait vibrer.
Godard raillé, Dolan ému
Vous l'avez bien compris, je penche en faveur d'un cinéma moderne et jeune, plutôt novateur, pop, gonflé. Je regrette donc le prix attribué à Xavier Dolan pour son décapant "Mommy". Lui offrir la Palme d'or aurait été davantage subversif, un geste cinéphile qui aurait démontré, vingt ans après "Pulp fiction", que le festival de Cannes ne s'enferme pas dans un traditionnalisme confortable. Certes, il l'a peut-être montré l'année dernière avec "La vie d'Adèle", mais semble donc aujourd'hui revenir à ses premiers amours.
Le contraste d'ailleurs était frappant sur scène, lorsque la Palme fut remise au cinéaste Nuri Bilge Ceylan par Quentin Tarantino et Uma Thurman, adeptes s'il en est d'un cinéma explosif. Xavier Dolan était donc le parfait opposé de son confrère Turc, avec son cinéma débridé et joueur, qui s'affranchit des codes, tant par l'image que le montage. Un cinéma violemment contemporain, osé, brillant.
J'ai suivi la cérémonie de clôture assise par terre en salle de presse, noire de journalistes, en me rendant à peine compte que tout ceci se déroulait dans la salle à côté. Les différents prix suscitaient l'engouement et de brefs applaudissements selon la nationalité des primés et des journalistes présents dans la pièce. J'étais aussi émue que Dolan lorsqu'il s'est adressé à Jane Campion. L'anecdote sympathique du jour fut le concert de "boooouuuh" journalistiques suscité par le prix remis à Jean-Luc Godard (ex-aequo avec Dolan qui plus est !!).
Le blues du dimanche
Sitôt la cérémonie terminée, une promenade sur la croisette s'imposait. Le cinéma de la plage proposait le film "Purple Rain", le plateau du Grand Journal était en partie démonté, projecteurs à terre, valises de matériel empilées. Les yachts étaient repartis vers d'autres contrées, plus excitantes. Les dernières robes pailletées s'évanouissaient dans la nature. Dans le Grand Palais, les stands d'informations fermaient un par un, les derniers dossiers de presse formant des tas épars sur des tables. Les écrans plats qui peuplaient les couloirs avaient disparus. Tout cela donnait le blues, et rendait au festival son irréalité transitoire, son caractère éphémère.
Ce dimanche matin, sur la croisette nuageuse, ne restaient plus que des jeunes gens qui faisaient leur jogging, écouteurs dans les oreilles, de vieux cannois en polo blanc qui avaient repris possession des bancs face à la mer et les promeneurs du dimanche avec leurs chiens. Aux abords du Palais et des bungalows se dressent à présent des montagnes de cartons. Le tapis rouge parait soudain immense tant il est désert. Les locaux de la Quinzaine des réalisateurs et de l'ACID ont fermé leurs portes depuis longtemps, même les affiches sur les modulaires se sont volatisées. L'épuisement est toujours bien présent, mais une sorte d'enivrement flou demeure, car quoi qu'il se passe à présent dans ce retour à la vie réelle, j'ai vécu au rythme du plus grand festival de cinéma du monde pendant plus de 10 jours. Et si celui-ci ne vit qu'au mois de mai, le cinéma lui, est intemporel, et m'attend encore à Nantes. Heureusement.
Palmarès du 67ème Festival de Cannes :
Compétition officielle :
Palme d'or WINTER SLEEP réalisé par Nuri Bilge Ceylan
Grand Prix LE MERAVIGLIE (Les Merveilles) réalisé par Alice Rohrwacher
Prix de la mise en scène Bennett Miller pour FOXCATCHER
Prix du Jury ex-aequo MOMMY réalisé par Xavier Dolan & ADIEU AU LANGAGE réalisé par Jean-Luc Godard
Prix du scénario Andrey Zvyagintsev et Oleg Negin pour LEVIATHAN
Prix d'interprétation féminine Julianne Moore dans MAPS TO THE STARS réalisé par David Cronenberg
Prix d'interprétation masculine Timothy Spall dans MR. TURNER réalisé par Mike Leigh
Section Un Certain Regard :
Prix Un Certain Regard FEHÉR ISTEN de Kornél Mundruczó
Prix du Jury TURIST de Ruben Östlund
Prix special du Certain Regard THE SALT OF THE EARTH de Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado
Prix d'ensemble PARTY GIRL de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis
Prix du meilleur acteur David GULPILIL pour CHARLIE’S COUNTRY de Rolf de Heer
Caméra D’or (Récompense meilleur premier film) :
PARTY GIRL ,réalisé par Marie Amachoukeli, Claire Burger, Samuel Theis, présenté dans le cadre de la Sélection Un Certain Regard
festival de cannes / cannes 2014
Article réalisé par Elsa Gambin
Publication : Dimanche 25 Mai 2014
Illustration : Le tapis rouge cannois vide
Crédit photo : Elsa Gambin