Jeux vidéos, la France game over ?
En une dizaine d'années, les emplois dans l’industrie du jeu vidéo ont diminué de moitié dans l’hexagone, alors qu'ils ont progressé de plus de 700% au Canada. Désormais troisième producteur mondial, il attire de plus en plus de nos talents.
En 2012, elle a rapporté dans l’hexagone environ 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires (pour seulement 1,3 milliard d’euros générés par le cinéma français).
La France est encore aujourd’hui le deuxième pays qui produit le plus de jeux vidéo, juste derrière les États-Unis, notamment sur les secteurs en fort développement que sont les jeux sur réseaux sociaux ou sur smartphones.
De gros éditeurs de logiciels installés en France
Les 300 entreprises du secteur, qui emploient directement 5 000 personnes, génèrent plus du double de cet effectif en emplois indirects, dans des secteurs tels que l’ingénierie et la sécurité informatique, le logiciel ou encore la prestation de services techniques, comme les effets spéciaux. Les entreprises françaises engagent plus de 500 millions d’euros de budget de production par an et certaines grandes entreprises françaises figurent aux premiers rangs mondiaux : les groupes Activision-Blizzard, filiale de Vivendi et Ubisoft comptent par exemple parmi les cinq premiers éditeurs mondiaux.
Plusieurs régions françaises (dont l’Ile-de-France, le Nord-Pas-de-Calais, la région Rhône-Alpes, l’Aquitaine ou encore le Languedoc-Roussillon) mettent en œuvre depuis de nombreuses années, grâce notamment aux actions des pôles de compétitivité, des dispositifs publics et des partenariats «public-privé» en faveur du développement de la filière. Elles attirent ainsi sur notre sol des géants du secteur comme Electronic-Arts, leader mondial américain dans la production de logiciels ludiques interactifs, dont une vingtaine de titres se sont vendus à plus d’un million d’exemplaires. L’auteur du célèbre jeu Les Sims est en effet installé à Lyon depuis vingt ans, où il emploie environ 80 personnes.
Un leadership en danger
Mais attention, les choses changent vite. Avec la mondialisation, ces chiffres flatteurs doivent être un peu nuancés, car il y a dix ans le jeu vidéo représentait en France deux fois plus d’emplois qu’aujourd’hui (environ 10 000). Les dépôts de bilan se multiplient. Depuis janvier, une quinzaine de studios ont ainsi mis la clé sous la porte et des symboles tombent, comme récemment l’emblématique Atari*, pourtant sous l’aile d’Infogrammes. Cette conjoncture, associée à l’attractivité croissante de certains pays, comme le Canada, entraînent des expatriations si nombreuses qu’on parle désormais d’hémorragie. La France perd peu à peu ses talents et donc son leadership.
À tel point que le gouvernement français semble se réveiller et sur le point d’agir pour un secteur qui n’a jusqu’à présent reçu aucune aide publique autre que quelques crédits d’impôt. Petit à petit les politiques sont sensibilisés à ce problème, même si les actions concrètes tardent à voir le jour. Des parlementaires de toutes tendances se sont réunis en février pour établir un diagnostic et envisager une évolution des dispositifs en faveur de l’industrie française du jeu vidéo.
Des mesures fiscales attendues pour l'été
Julien Villedieu, le délégué général du Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV) avertit : "le temps nous est compté. Dans un contexte international tendu, le Canada, les États-Unis ou Singapour ont mis en place des dispositifs fiscaux très attractifs pour les entreprises de jeu vidéo. Les défaillances sont certes compensées par des créations d'entreprises, mais il faut mettre en place des mesures rapidement. L'industrie du jeu vidéo est au cœur d'un paradoxe. Jamais elle n'a été aussi prospère, mais jamais il n'a été aussi complexe de réussir", juge-t-il, militant notamment pour une amélioration des dispositifs favorisant la compétitivité et des modèles de financement des productions.
Fleur Pellerin, la ministre déléguée à l’économie numérique et Aurélie Filipetti, la ministre de la Culture, on mis en place le 4 avril dernier un groupe de travail affecté au soutien du jeu vidéo en France, dont le SNJV et le SELL (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs) sont parties prenantes. Les mesures fiscales, destinées à combler notre différentiel avec des pays comme le Canada, où les crédits d’impôt sont particulièrement attractifs, sont attendues pour cet été. D’autres mesures sont espérées à l’automne, notamment en matière de partenariat public-privé, d’innovation, de formation et de compétitivité.
Des talents français au Canada
En 2002, le Canada ne comptait pas plus de 2000 personnes dans le secteur des jeux vidéo. En 2012 on en dénombrait un peu moins de 16 000, dont environ 8500 au Québec. Parmi ceux-ci, plus d’un tiers seraient Français. Une bonne partie des talents perdus par la France, se retrouvent donc chez nos cousins nord-américains, particulièrement accueillants pour ces expatriés hautement qualifiés et francophones.
En la matière, le “miracle canadien “ a avant tout reposé sur un gros coup de bluff et sur l’intuition d’un lobbyiste québécois : Sylvain Vaugeois. Convaincu que le secteur du jeu vidéo est un gisement d’emplois, il se met en tête d’attirer à Montréal le géant breton Ubisoft et contacte son PDG, Yves Guillemot. Il lui promet d’obtenir une subvention annuelle de 25 000 $ par employé s’il installe des studios sur les rives du St Laurent. Pour les obtenir, il fait alors croire au gouvernement québécois qu’Ubisoft projette de s’implanter dans une province voisine. En échange de la création de centaines d’emplois, il obtiendra 50% de crédit d’impôt sur les salaires... Une quinzaine d’années plus tard, Ubisoft emploie 2500 personnes dans ses studios canadiens et peut se targuer de succès mondiaux comme Assasin’s Creed ou Splinter Cell.
Mieux payés, mieux formés
Plus de 80 studios de création de jeux ont suivi, dont d’autres grands éditeurs, comme Eidos ou Electronic Arts. Et même si les 50% du départ sont descendus à 30% (37,5% si le jeu est en langue française), les conditions restent plus favorables qu’en France (20%) et de très importants fonds d’aide publique permettent de débaucher les meilleurs talents mondiaux. De plus la main-d’œuvre locale est bien formée, le Canada possède de nombreuses entreprises multimédias avec qui les éditeurs peuvent travailler et les charges sont bien plus raisonnables qu’en France. Le prix du mètre carré de bureaux est par exemple cinq fois moins cher à Montréal qu’à Paris.
Enfin, l’expatriation au Canada est également très intéressante pour les game designers français. Ils peuvent gagner près de 20% de plus qu’au pays, travailler sur de gros projets et booster leur carrière, qui plus est dans un contexte francophone au Québec. Beaucoup tentent donc l’expérience et bien peu reviennent, arrêtés par le manque de perspectives professionnelles en France.
(*Atari, à l’origine une firme américaine fondée en 1972 et pionnière dans les domaines de la musique assistée sur ordinateur et du jeu vidéo avait cédé sa marque au français Infogrammes en 2001, puis le reste de l’entreprise en 2008. 5 ans après, Atari a déposé le bilan de ses sociétés, holding et filiales en janvier 2013.)
Christophe Chom's (Orbeat) - Le Paris Phuket - rubrique Village global
Article réalisé par Christophe Chommeloux
Publication : Jeudi 25 Avril 2013
Illustration : ma console au canada