Dessalons du mariage !
Il faut en finir avec ce préjugé, un mariage ça ne coûte rien !
Là où vous commencez à vous ruiner, c'est quand vous vous mettez dans l'idée d'en appeler aux institutions religieuses... mais en même temps, là, contrairement au contrat civil de mariage, c'est pour l'éternité. Ça se paie l'éternité !
Mais ce qui engendre le plus de frais, c'est cette démarche saugrenue d'inviter sa famille et ses amis, comme si vos histoires de cul les concernaient. Si vous vous contentiez des gens proches encore ! Mais comme vous ne voulez vexer personne, en mettant toutes vos connaissances sur le même plan, votre mariage se retrouve transformé en un mixe entre l'Arche de Noé et les Restos du Cœur (chansons de Goldman incluses).
Et si vous n'y prenez pas garde, cela peut aller très loin, et vous vous endettez pour engraisser l'espace d'une journée des cousins éloignés et de vieux amis d'enfance que vous ne voyez d'ailleurs qu'aux mariages et aux enterrements. Mais je vous ferai remarquer que vous ne les voyez qu'aux enterrements des autres. Alors pourquoi ne pas les voir également qu'aux mariages des autres ?
Non, vraiment, le mariage n'est plus affaire d'argent. Mais le couple que nous avons uni aujourd'hui ne le savait pas...
Sur le perron de la mairie, les nouveaux mariés ont l'air de deux anges : une femme sans faille, et un homme sans couilles ; et après ils s'étonnent d'être stériles ! La famille est réunie au grand complet, y compris les cousins de Cholet qui lancent du riz comme ils bénissent les cercueils, avec la même hypocrisie consciencieuse des invités obligatoires.
Le photographe professionnel a brandi son Nikkon Nisoumi, appareil ultra-moderne à injection rétroactive et zuglubu kaléidoscopé, autant dire que les portraits seront minables mais les reflets sur les verres de cristal promettent d'éblouir les connaisseurs par leur précision.
Nous nous rendons ensuite au vin d'honneur et à l'évidence : la journée risque d'être longue ! Le Sauvignon qui a tiédi sur les tables nous martèle déjà le crâne quand la demoiselle d'honneur prend la parole que personne n'aurait songé à lui donner...
- "Vous êtes de belles personnes, Audrey et Gilles ! Il n'y a pas plus généreux que vous. Quand on pense que vous avez sacrifié toutes vos économies pour nous offrir cette belle journée, sans savoir avec quoi vous pourrez vivre demain, moi je dis que c'est ça l'amour !"
Tout le monde l'applaudit, ce qui a le don de la faire taire. Si nous l'avions su, nous l'aurions applaudie plus tôt. Mais soudain, qu'entends-je ? Oh non ! On vient de dérouler un écran blanc. Ils pourraient attendre, on a encore rien dans le ventre.
Le temps de vérifier les branchements et de changer le format du fichier qui manifestement était incompatible avec le rétroprojecteur de la salle municipale, et le Power Point s'ouvre sur la musique de « Amicalement Vôtre ». C'est alors que deux vies inutiles sont mises en parallèle sous les yeux de tous. Des larmes nous montent aux yeux quand nous songeons que notre propre existence pourrait, de façon similaire, être résumée en trois minutes et vingt-trois photos, sans que cela choquât les imbéciles qui nous aiment. La seule chose qui nous fait sourire vous et moi, c'est que nous avons remarqué que chacun des mariés sourient beaucoup moins sur les images où ils sont ensemble. Peut-être sont-ils tellement heureux qu'ils ne se donnent plus la peine de forcer le trait devant l'objectif, ou bien renferment-ils leur bonheur bien profondément au fond d'eux, comme un gaz, en attendant la journée où ils débourseront dix mille euros pour le faire sentir à tout le monde avant qu'il ne s'évapore.
Comme tous les mauvais esprits, nous avons été placés à la table « rebut », celle qui ne concerne ni amis, ni famille, que nous serions tentés d'appeler aussi la table « rébus », tant chacun y fait mystère de son identité pour ne pas épuiser trop vite la conversation, car le déjeuner dure tout de même cinq heures. Le secret de notre voisin de gauche semble le plus lourd à porter, car il refuse de parler de son métier. Après l'avoir soudoyé avec une cigarette, nous regrettons d'avoir été aussi curieux car, en effet, c'est le professeur de danse qui a appris au couple pendant six mois la chorégraphie de « Dirty Dancing ».
S'en est trop ! Quittons vite cet enfer mal dissimulé sous des fichus roses et blancs, je vous emmène boire un verre au quartier Bouffay, dans un petit bar que je connais bien.
mariage / humour / printemps / guillaume haubois / rubis sur l'onde / nantes
Article réalisé par Guillaume Haubois
Publication : Vendredi 17 Avril 2015
Illustration : Ahahah
Crédit photo : Loïc Fenouil