Viol constitutionnel en réunion
Ou le spectre de Louis Napoléon Bonaparte
On a connu en France plusieurs détournements du pouvoir depuis la convention en 1789, on peut reprendre l'exemple de Louis Napoléon, qui deviendra plus tard Napoléon III.
Profitant du soulèvement des Parisiens en 1848 et de la déchéance de Louis Philippe contraint d'abdiquer, Louis Napoléon se fait élire député puis Président de la République au suffrage universel, une première en France.
La constitution ne lui permet pas de briguer un troisième mandat et prépare alors un coup d’État pour s'arranger avec cette constitution encore fragile. Il réprime ses opposants et met ainsi fin à la deuxième république en se faisant proclamer Empereur.
Il y a visiblement une autre date à retenir, 1995.
"Politiquement incorrect"
Pour organiser sa communication, il s'entretient avec le Figaro qui publie ce papier la veille de la sortie du bouquin, à 92 ans et toujours là, il est sûr que cet homme doit connaitre par cœur les méandres de la politique et les chemins sinueux du pouvoir.
Il aurait, alors sauver la république, lorsqu'il siégeait au conseil constitutionnel en 1995.
Ah oui comment ça ? Un coup d’État a été étouffé dans l’œuf ? Un complot des ennemies de la nation ?
Non, le Conseil Constitutionnel s’aperçoit que certains candidats ont séché les cours de mathématiques, et ce, pendant des années.
Compte de campagne irréguliers
En effet, leurs comptes de campagne sont irréguliers, mais ce n'est pas grave, le conseil dispose de quelques flacons de Typex et d'effaceurs haute qualité.
Trois rapporteurs sont détachés par la Cour des Comptes et le conseil d’État pour analyser les entrées et sorties des candidats comme le veut la procédure après les élections.
Leur rapport est alarmant, trois candidats présentent des anomalies, entre l'annonce des dépassements (On se rappelle de la décision du conseil concernant Sarkozy) et les financements non justifiés, un silence de plomb s'installe avant que Roland Dumas ne prenne la parole ; Jacques Robert, aussi membre du conseil, lui prête ces propos : " Nous ne sommes pas là pour flanquer la pagaille"
La pagaille ? Cette haute autorité n'a pas jugé bon d'appliquer ses prérogatives et s'essuie avec la constitution.
Roland Dumas met en doute les conclusions des rapporteurs et leur demande par deux fois de revoir leur copie, pour que ça colle au franc près, sans faire de ratures. Ces comptes deviennent alors dignes d'un candidat nettoyé au pressing avec un supplément amidon pour que ça tienne mieux en public.
Roland Dumas, le Mitch Bucchanon de la Vème république
La justification est spectaculaire, comment retourner une situation à son avantage ?
En se déclarant le sauveur d'une république qui par cette action du conseil se voit rongée de l’intérieur.
Le Point nous précise ce matin que le conseil n'avait pas le pouvoir d'invalider l’élection à travers des magouilles financières, son pouvoir se limite à la fraude électorale ce qui n'a pas été le cas.
Dans le cas ou les comptes sont invalidés les dépenses de campagnes ne sont pas remboursées par l’État, or le temps de la vérification Jacques Chirac est déjà à son poste.
On sait que Roland Dumas et Jacques Chirac se sont entretenus pendant une heure avant la décision finale du conseil ; dommage que Patrick Buisson ne traînait pas dans le coin avec son dictaphone... Pendant le débat d'entre deux tours Lionel Jospin émet des doutes sur la capacité de son adversaire à gérer les affaires du pays quand il ne sait pas gérer ses comptes de campagnes, argument étayé par des informations de son entourage sur la campagne de Chirac. Qui lui répond que seul le conseil décidera d'une validation ou d'un rejet comme tous les candidats.
Jacques Chirac semble sur de lui malgré son dépassement qui ne semble plus être un secret.
Un Président sur-endetté par une gestion douteuse de ses comptes fait mauvais genre, il aurait peut-être dû organiser la même mascarade que Sarkozy pour éviter le surendettement, l'éclatement d'un parti, une refonte du paysage politique (ça, il le fait quand même en 97 quand il dissout l'assemblée)., et une image à l’étranger désastreuse. C'est peut-être en cela que Roland Dumas se voit sur les plages en sortant de l'eau une Marianne sur le point de se noyer.
Liens possibles avec Karachi
Cette affaire n'est pourtant pas un scandale nouveau, c'est le Monde et Mediapart en 2010 qui la sortent du silence. Jacques Robert parle et intéresse les Juge Von Ruymbeke et Leloire qui enquêtent tout deux sur la perception de rétrocommissions sur des ventes d'armes au Pakistan
Ils soupçonnent Balladur et Leotard d'avoir perçu ces rétrocommissions, tandis qu'ils étaient en fonction, lors de la cohabitation de fin de mandat de Francois Mitterand(93-95).
Cet argent aurait alors peut être un rapport avec les 10 millions de francs non justifiés des comptes de campagne du candidat Balladur qu'il justifie par une vente de T-Shirt sans apporter la moindre trace de sa participation à l'essor du textile en France.
L'émission "Face aux Français" sur France 2 reçoit Roland Dumas. Il est interrogé par Guillaume Durand et Christophe Barbier sur les irrégularités comptables des trois candidats. Oui, le troisième est Jacques Cheminade, ses comptes sont rejetés au motif que certaines parties de son financement sont considérées comme des dons au motif qu'aucun taux d’intérêt de l'emprunt n'est indexé aux sommes perçues.
En effet, les dons aux partis politiques sont encadrés. Jacques Cheminade est un peu le dindon de la farce, il doit rembourser, est endetté et disparaît peu à peu du paysage politique.
Mais pourquoi avoir validé ceux de Chirac et de Balladur dans ce cas ?
Roland Dumas répond à Christophe barbier : "Jacques Cheminade était plutôt maladroit, les autres étaient adroits..."
Ça laisse rêveur, n'est-ce pas ?
Ziad Takkiedine est l'homme clef de l'affaire Karachi et avec le temps les langues se délient, si les conclusions des juges confirment leurs soupçons alors le Conseil Constitutionnel aura à la fois apporté les premières pierres du caveau de la V ème république et peut être joué un rôle même indirect, dans les attentats de 2002 à Karachi qui seraient lié a un désaccord financier concernant les rétro-commissions. Cette enquête est par ailleurs freiné par le secret défense que Francois Hollande voulait levé en 2012 sur cette affaire, il doit cependant avoir d'autres priorités ce jour...
Suite à ces affaires, on peut se demander quel avenir et surtout quelle crédibilité aura la conseil constitutionnel ces prochaines années. On peut également se poser la question de l'impartialité de cette institution très politisée, peut être faudrait-il revoir sa composition et y inclure les citoyens pour garantir à la fois, la république et la démocratie ?
Le coup d’État de Louis napoléon a provoqué l’écriture des Châtiments par Victor Hugo. Ce recueil de 98 poèmes devenu un classique met en lumière l'indignation et la révolte de son auteur sur le rapt de la république.
À qui le tour ?
*Le Conseil constitutionnel a été institué par la Constitution de la Ve République, en date du 4 octobre 1958. C'est une juridiction dotée de compétences variées, notamment du contrôle de conformité de la loi à la Constitution. Le Conseil constitutionnel n'est pas une cour suprême au-dessus du Conseil d'État et de la Cour de cassation.
Article réalisé par Ludovic Rebeyrol
Publication : Jeudi 19 FéVrier 2015
Illustration : Marianne
Crédit photo : Inconnu