Conférence au CCO : Résister à la tempête numérique
Le vendredi 9 janvier avait lieu une conférence animée par Roberto Casati, philosophe et directeur de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique).
D'origine milanaise, Roberto Casati est l'auteur de nombreuses revues scientifiques (en particulier sur la science cognitive) et de quelques ouvrages comme : "La Découverte de l'ombre" en 2002.
Directeur de recherche au CNRS, il publie en 2013 : "Contre le colonialisme numérique - Manifeste pour continuer à lire". Dans cet essai percutant, Roberto Casati tente de démontrer comment il est important de préserver certains secteurs (comme l'éducation) du numérique.
Le traitement de l'information
Accéder à l’information, ce n’est pas lire ; lire, ce n’est pas encore comprendre; et comprendre, n’est pas encore apprendre. Il nous faut inventer les moyens de résister à la culture de l’impatience. Le monde de l’information est totalement impliqué dans cette évolution.
C'est en parlant du monde de l'information que Roberto Casati démarre son propos : "les informations pertinentes et réellement intéressantes finiront toujours par vous parvenir même si vous êtes déconnecté" et d'argumenter : " J'ai fais l'expérience de me couper de l'information pendant un an et j'ai tout de même entendu parler des faits importants."
Mais le philosophe ne s'attend pas à ce que tout le monde fasse de même et n'affiche pas cette volonté car il existe un risque : la transformation de l'information qui peut conduire à une information déformée.
Contre le colonialisme numérique
Derrière ce terme barbare ne se cache pas une haine totale envers le numérique. En effet, Roberto Casati le précise : "Je ne suis pas opposé au format numérique mais à l'idéologie. Si quelques chose peut être numérisée il doit être numérisé : la lecture, l'école, la démocratie, la collecte de donnée..." Pour le directeur de recherche du CNRS, certaines choses n'ont pas besoin d'être numérisées.
Néanmoins, il voit dans la numérisation une opportunité culturelle intéressante : "Prenons l'exemple de la photo. Avant, pour être photographe il fallait beaucoup de matériels et ça se voyait que vous étiez photographe. Aujourd'hui, avec les téléphones portables c'est beaucoup plus facile..."
En revanche, certaines évolutions numériques sont très mal vues par le philosophe : "Prenez le vote numérique... on nous promet une démocratie participative avec la possibilité de voter n'importe où, n'importe quoi, n'importe quand... c'est une aubaine pour les micro-pouvoirs. Certes la participation va augmenter, mais qu'en est-il de la qualité ?"
Roberto Casati rajoute que les données géolocalisées émises par les smartphones sont stockées par des serveurs pour être ensuite étudiées afin de déterminer nos centres d'intérêt : "Qu'on le sache ou pas, qu'on le veuille ou non, on travaille pour eux à longueur de journée. On leur mâche le travail."
La génération Y
Autre point important de l'exposé de Roberto Casati : la génération Y (les enfants nés dans les années 80 jusqu'au début des années 2000). Cette génération posséderait selon certaines études des prédispositions à l'utilisation du numérique grâce notamment à l'accoutumance. Pourtant, l'accoutumance ne représenterait que 5 à 10% de la "population numérique".
"Mais ce n'est pas l'enfant qui est adroit avec la technologie, c'est la technologie qui s'est adaptée à l'enfant pour qu'il puisse l'utiliser facilement" faisant allusion à l'aisance parfois déconcertante avec laquelle les enfants peuvent utiliser certains outils numériques. Pour le directeur de la recherche du CNRS, les numériques de naissance n'existent pas.
Le numérique faciliterait la vie et permettrait d'être multi-tâche. Le portable est d'ailleurs souvent comparé à un couteau-suisse : "a-t-on déjà vu un chef cuisiné remplacer ses ustensiles par un seul et même outil ?"
Mais l'ère numérique symbolise le progrès alors pourquoi avoir un regard aussi sombre ? "Je ne porte pas de regard négatif sur le numérique, simplement je pense qu'il ne faut pas qu'il prenne une trop grosse place dans nos vies" se justifie Roberto Casati avant de proposer sa solution : "En dehors du fait qu'il faut réussir à préserver certain secteur du numérique (l'école, la lecture...) il serait intéressant d'avoir une 'notice de conséquences sociales' notamment concernant les réseaux sociaux : l'impact de la mise en ligne de certaines photos, certaines publications etc...."
En conclusion, Roberto Casati rappelle qu'il ne faut pas faire la guerre au numérique mais résister à sa colonisation pour préserver ce qui n'est pas encore été touché par le numérique.
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Article réalisé par Louis Scocard
Publication : Jeudi 22 Janvier 2015
Illustration : Eliane de l'Observatoire des médias (à gauche), Roberto Casati (au milieu), Jean-Claude Charrier (à droite)