#Cannes2015 : Mon roi, coupez lui la tête !
La réalisatrice Maïwenn met en scène un couple constamment en mode "craving", qui s'use autant qu'il abuse du temps et de l'intelligence du spectateur atterré. Échec au roi.
Sur l'idée de mettre davantage de femmes réalisatrices dans la compétition officielle, je n'ai rien à redire. Mais on ne plaisante pas avec le cinéma. Or le sexe importe peu, pourvu que le film soit bon. Je me ficherais que les 19 films soient réalisés par des hommes s'ils me proposaient 19 chefs-d'œuvre. On avait donc quitté Maïwenn avec "Polisse", qui, s'il souffrait de plusieurs imperfections, rendait possible (nécessaire ?) par son sujet la présence de scènes excessives. Les moments d'accalmie (dus en partie à un Joey Starr surprenant) permettaient au film de souffler, pour mieux reprendre sa course folle, parfois vaine.
On la retrouve sur le précipice d'une histoire passionnelle entre un salaud et une amoureuse, en ayant laissé sur le bord du chemin la bonne idée des accalmies pertinentes. A la place de ces dernières, ça baise, ça rigole ou ça cabotine. Le reste du temps, ça gueule.
Tony, avocate qui se reconstruit, dans tous les sens du terme, arrive dans un centre de rééducation en bord de mer après une blessure au genou. Au "je-nous" lui souffle finement une doctoresse dès le premier jour (peut-être la scène la plus cocasse du film). Au cours de sa convalescence, elle se remémore sa rencontre avec Giorgio (prénom vaguement jet-setteux, ringard) dans une boîte de nuit. Et les dix années de folle passion qui ont suivies. Mais Giorgio, pervers manipulateur, beau parleur narcissique, a l'inconséquence facile des égotistes d'autant plus sûrs d'eux qu'ils savent leur proie acquise. De mensonge en humiliation, Tony retourne pourtant vers lui, dix années, putain, dix ans. Le seul à anticiper le désastre est le jeune frère de Tony, plaisant branleur à l'humour moqueur, adorablement joué par Louis Garrel.
L'amour fait mal disait Truffaut. Mais il le montrait intelligemment. L'amour rend con nous dit Maïwenn, alors pourquoi ne pas le montrer connement.
Le montage à lui seul est une insulte au film, simagrée de flash-back un peu simpliste. Puisque l'histoire est moche, pourquoi s'appliquer sur le reste. Les pages du dictionnaire cinématographique de Maïwenn doivent être collées car le mot subtilité est inexistant. De Vincent Cassel, toujours efficace en BG ultravirilisé, elle en fait un loup à tendance schizophrénique qui confine à la répulsion. Toutes se pâment devant le séducteur cabotin, de la mannequin anorexique à la fille "normale", comme se décrit Tony (au passage, diminutif fin de Marie-Antoinette. Tout en subtilité je vous dis.) Il est d'autant plus complexe pour le spectateur de s'identifier à la position victimaire, frôlant le masochisme, du personnage d'Emmanuelle Bercot (particulièrement mauvaise et lourdingue est la scène où elle hurle, saoule, aux amis superficiels de son "roi" les quatre vérités de ce dernier). Car, même dans les moments sympas de leur couple, le grand méchant roi veut son cul ou sa bénédiction pour sortir faire la bringue avec une bande de fêtards sous ecsta. À priori, le cinéma français a aussi définitivement oublié l'existence de la classe moyenne. La plupart des films, et celui-ci n'échappe pas à la règle, se déroule dans un milieu outrageusement friqué, où le bonheur amoureux s'apparente à des courses de chevaux, du caviar, du champagne et des voyages au bout du monde. Une idée du bonheur accessible à tous, évidemment.
De ce déchirement amoureux pesant, de cette passion jusqu'au boutiste, Maïwenn n'en fait rien, sinon la montrer dans ses excès (la tentative de suicide, toujours efficace dans ces moments-là. Tant qu'à faire, autant en mettre deux, allons-y gaiement). Si l'on peut (doit ?) écorner à bon escient une certaine idée du couple moderne, on ne peut le faire sans une analyse critique intelligente, ce qui manque cruellement à ce film, et à ses personnages, pantomimes affligeants qu'aucune empathie ne peut sauver. Voir se débattre Tony/Bercot dans ce labyrinthe braillard comme une souris de laboratoire lasse le spectateur, effaré de son manque de dignité, qui dure, qui dure. Et ce repos mental tant attendu, Tony le trouve auprès de jeunes "de banlieue", dégourdis et drôles, d'un "autre milieu social", lui font-ils remarquer. Bin oui, les classes popu savent être simples et gentilles, elles, et ça fait du bien à notre avocate abîmée. N'en jetez plus, la coupe (de champagne) est pleine. Elle déborde, même, comme ce film irritant et raté.
"Mon Roi", un film de Maïwenn, 2h10. En compétition officielle au 68ème Festival de Cannes. Sortie prévue en octobre 2015.
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Article réalisé par Elsa Gambin
Publication : Mardi 19 Mai 2015
Illustration : Image du nouveau film de Maïwenn : Mon Roi